Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Quand l'ONU fait face à un État membre

Washington (IPS) 11.10.2021 Thalif Deen Traduit par: Jpic-jp.org

Une bataille diplomatique croissante se joue aux Nations Unies entre le secrétaire général Antonio Guterres et l'un des États membres de l'organisation mondiale : l'Éthiopie, en difficulté politique, qui a désespérément besoin d'une aide humanitaire internationale.

Une guerre des mots comme celle-ci, dans une institution où le Secrétaire général est traditionnellement considéré au service des 193 États membres, est tellement rare dans le contexte des normes de l'ONU. Guterres s’est senti obligé d’exercer son « droit de réponse » au Conseil de sécurité, l'organe le plus puissant au ONU.

Lorsque le Secrétaire général a été confronté lors d'une conférence de presse à son droit de réponse « qu’on n'avait jamais vu au Conseil de sécurité », cela a déclenché la question : « Est-ce une expression du niveau de votre mécontentement, en ce moment, envers l'ambassadeur d'Éthiopie ? »

« Il est de mon devoir de défendre l'honneur des Nations Unies », a rétorqué Guterres.

L’affaire s’est produite à partir de la décision du gouvernement éthiopien de déclarer « persona non grata » (PNG) sept responsables de l'ONU, dont la plupart distribuait une aide humanitaire.

En diplomatie internationale, la PNG repose sur le principe de réciprocité : « vous expulsez nos diplomates et nous expulsons les vôtres » comme en témoigne la période de la guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique de l’époque. Dans un article de mai 2018, un ancien rédacteur diplomatique du Times, Michael Binyon, a souligné que l'expulsion massive de diplomates était une caractéristique de la guerre froide, lorsque les diplomates de l'Union soviétique et de ses alliés étaient souvent soupçonnés d'être des agents de renseignement et recevaient l'ordre de quitter le pays, généralement après un scandale d'espionnage.

Inévitablement, les Russes et leurs alliés ripostaient en expulsant les diplomates occidentaux. La plus importante expulsion a eu lieu en 1971, lorsque le gouvernement conservateur britannique a expulsé 90 des 550 membres de l’ambassade de l'Union soviétique et a empêché 15 autres diplomates de revenir.

Mais l'ONU n'a pas de réciprocité diplomatique, et Guterres n'a pas non plus le pouvoir ou l'autorité pour expulser les diplomates éthiopiens de l'ONU ou de New York.

Les Éthiopiens affirment que les sept responsables de l'ONU ont été expulsés parce qu'ils « se sont immiscés dans les affaires intérieures de l'Éthiopie ». Mais au 7 octobre, l'Éthiopie n'avait pas encore répondu à la demande du Secrétaire général de fournir des preuves concrètes pour l'expulsion.

Guterres soutient également que le concept de persona non grata s'applique aux relations entre nations souveraines, et non aux relations entre l'ONU et ses États membres.

L'ambassadeur éthiopien, Taye Atske-Selassie Amde, a déclaré que son pays n'avait aucune obligation légale de justifier ou d'expliquer ses décisions, mais a toutefois énuméré les allégations de « fautes » de la part de responsables de l'ONU.

Le différend a apparemment été déclenché par le fait que l'ONU fournissait une aide humanitaire également aux forces rebelles dans un pays où près de sept millions de personnes ont besoin d'une telle aide.

Lorsqu'on fournit de la nourriture et des médicaments dont on a un besoin urgent, réplique l'ONU, sa distribution n'est pas guidée par la politique, mais par des facteurs humains.

Kul Gautam, ancien Sous-Secrétaire général de l’ONU et Directeur exécutif adjoint de l'UNICEF, une agence de l’ONU qui a fourni assistance humanitaire à des millions de personnes dans le monde, a déclaré à IPS : « Oui, je sais que plusieurs représentants de l'UNICEF et de l'ONU ont été PNG, mais jamais l'ONU n'a pris dans ces cas une position publique aussi forte et catégorique ».

Dans le passé, a-t-il déclaré, les secrétaires généraux de l’ONU et les chefs d'agences ont protesté et condamné de telles expulsions, « mais je ne me souviens pas que l'ONU ait jamais remis en question le droit du gouvernement incriminé de déclarer le personnel international de l’ONU persona non grata ».

Ainsi, il est apparu comme une (agréable) surprise que dans le cas impliquant le personnel de l'ONU expulsé par le gouvernement éthiopien, le secrétaire général ait fait une déclaration publique audacieuse remettant en question les actions et les déclarations du gouvernement éthiopien à la fois aux médias et à l'ONU dans le Conseil de sécurité.

« J'espère et je pense avec confiance que la nouvelle position du secrétaire général a été soigneusement examinée et validée par le Bureau juridique de l'ONU et qu'elle sera maintenue, si l'affaire venait à être contestée devant la Cour internationale de justice ».

Dans le passé, a souligné Gautam, le fait que le personnel de l'ONU était accusé par des gouvernements autoritaires de prendre des positions conformes aux principes de l'ONU ou aux causes qu'il servait (par exemple, l'intérêt de la population enfantine, dans le cas de l'UNICEF), était souvent considéré « une marque d'honneur » pour le ou les fonctionnaires concernés.

Après tout, le personnel de l’ONU prête allégeance à la Charte des Nations Unies qui parle de « Nous les peuples des Nations Unies » et non « Nous, les gouvernements des Nations Unies ».

Et le personnel de l'ONU n'a pas le droit de recevoir d'instructions de leurs gouvernements nationaux ou des gouvernements des pays hôtes, a-t-il soutenu.

« Certains gouvernements préféreraient que l'ONU et ses agences leur envoient simplement un chèque dans le cadre de leur coopération humanitaire. Mais l'Assemblée générale de l’ONU ainsi que les conseils d'administration des agences, fonds et programmes de l’ONU, attendent de son personnel sur le terrain qu'il surveille attentivement l'utilisation et l'efficacité du soutien qu'ils fournissent », a-t-il déclaré.

« Espérons que la réponse réfléchie du secrétaire général à l'action unilatérale du gouvernement éthiopien conduise les fonctionnaires internationaux de l'ONU à mener leurs activités humanitaires et de développement sans crainte ni favoritisme dans le meilleur intérêt du peuple à qui ce soutien est destiné.

Thomas G. Weiss, professeur de sciences politiques et directeur émérite du Ralph Bunche Institute for International Studies du City University of New York (CUNY) Graduate Center, a déclaré à IPS : « De nombreux responsables de l'ONU ont été déclarés PNG par un pays auquel ils étaient assignés. Le secrétaire général parfois se plaignait parfois se taisait ».

Stephen Zunes, chroniqueur et analyste principal de Foreign Policy in Focus, qui a beaucoup écrit sur la politique du Conseil de sécurité, a déclaré à IPS : « Je ne me souviens pas d'une seule fois où un secrétaire général a exercé son droit de réponse ».

Ce n'est pas la première fois que des fonctionnaires de l'ONU sont expulsés ou déclarés persona non grata. Récemment, le Maroc a expulsé la plupart des casques bleus de la MINURSO du Sahara Occidental qu’il occupe et a invoqué le statut de PNG auprès de l'envoyé personnel du Secrétaire général, Christopher Ross.

La différence est qu'avec le Maroc et avec les autres cas précédents, le gouvernement en question avait au moins un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU comme allié fidèle, limitant ainsi la capacité du secrétaire général à les affronter de manière aussi décisive, a déclaré Zunes.

« Cette action sans précédent concernant l'Éthiopie peut être autant le reflet de l'isolement diplomatique relatif de l'Éthiopie que du sérieux de son action anti-ONU », a déclaré Zunes, professeur de politique et titulaire d'une chaire d'études sur le Moyen-Orient à l'Université de San Francisco.

Gautam a déclaré que le Premier ministre éthiopien et lauréat du prix Nobel de la paix Abiy Ahmed, comme Aung San Suu Kyi au Myanmar, a profondément déçu la communauté internationale en commettant de graves violations des droits humains contre les membres d'une communauté ethnique minoritaire de son propre pays.

Le fait que certains militaires au sein de la communauté rebelle aient également commis des atrocités ne justifie pas les actions dures et disproportionnées contre des civils innocents par le gouvernement au pouvoir d'un État démocratique, qui doivent se tenir à un niveau plus élevé, a-t-il soutenu.

« Il y eut plusieurs cas de fonctionnaires de l'ONU expulsés de divers pays par des gouvernements autoritaires. Toutefois, que l'Éthiopie ait déclaré jusqu'à sept fonctionnaires de l'ONU qui fournissaient une aide humanitaire persona non grata sur des accusations apparemment inventées de toutes pièces, est sans précédent ».

Aussi sans précédent est la position prise par le Secrétaire général de l'ONU, dont le porte-parole a toutefois déclaré : « C'est la position juridique de longue date de l'ONU de ne pas accepter l'application de la doctrine de persona non grata à l'égard des fonctionnaires des Nations Unies ».

Il a poursuivi en disant que, « C'est une doctrine qui s'applique aux agents diplomatiques accrédités par un État auprès d'un autre État. L'application de cette doctrine aux fonctionnaires de l’ONU est contraire aux obligations découlant de la Charte des Nations Unies et aux privilèges et immunités qui doivent être accordés à l'ONU et à ses fonctionnaires ».

Voir, UN Chief, in an Unprecedented War of Words, Battles it out with a Member State 

Photo. Food is distributed to people in the Afar region of Ethiopia. ©WFP/Claire Nevill

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