Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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L'art de vivre

Ethic 10.05.2025 Esther Peñas Traduit par: Jpic-jp.org

La vie humaine est un exercice d'équilibre entre la recherche de l'amélioration et l'acceptation de ce que nous sommes. Si la philosophie nous apporte une question décisive, c'est bien celle de savoir ce que signifie vivre une vie bonne.

Mentorat, yoga, coaching, textes de développement personnel (aujourd'hui appelés « livres d'inspiration »), pleine conscience, méditation, jogging... Les propositions pour améliorer notre qualité de vie sont si nombreuses qu'elles finissent par provoquer du stress. Les professionnels de la santé insistent sur une épidémie de mal-être généralisé sur laquelle nous n'arrivons pas à mettre des mots. La vie que nous menons nous épuise et nous nous tournons vers la compensation facile du consumérisme, trêve, enfant bâtard d’une fausse tranquillité, si éphémère que nous la ressentons à peine.

Nous nous préoccupons des valeurs, mais nous oublions qu'il s'agit là d'un mot valise. Les valeurs sont changeantes et n'obligent pas ceux qui les détiennent à quoi que ce soit. C'est pourquoi les philosophes parlent de vertus. Les vertus rendent la personne qui les pratique, vertueuse. Elles la transforment. Une vertu pousse à l'exercer. Une vertu n'est rien d'autre que faire le bien. Et être vertueux conduit à une vie bonne qui, en fin de compte, est le désir le plus convoité.

La vie bonne est l'une des questions centrales de l'histoire de la philosophie. À tel point qu'elle constitue une discipline : l'éthique. Face aux défis contemporains (urgence climatique, migrations, trans-humanisme, polarisation, violence, post-vérité...), la philosophie est un héritage dont la pratique a des implications individuelles, sociales et politiques. Le bonheur, bénéfice d'une vie bonne, ne signifie pas se complaire dans la réalité, mais savoir faire face à la frustration, à la limite, à la contingence. Mais comment vivre une vie bonne ?

De Socrate (qui fait de l'oracle de Delphes, « connais-toi toi-même », une règle indispensable) à Nietzsche (et son idée que tout homme doit rechercher l'exemplarité), en passant par l'humanisme dialectique d'Erich Fromm, l'esthétique de l'existence de Foucault (qui fait de la vie une œuvre d'art) ou la libéralisation du corps proposée par Butler, il existe de nombreuses écoles visant à éviter ce qu'Agamben appelle la « nuda vida », une vie dénouée, c'est-à-dire une vie gâchée.

Pensée indépendante ou indépendance intellectuelle

La tradition philosophique de l'Occident n'est qu'une annotation au pied de page dans l'œuvre de Platon. Telle est son influence selon le penseur anglais Alfred North Whitehead (père de la « process philosophy », fondée sur le changement comme progrès). Pour Platon, la chose la plus précieuse est l'éducation, non pas comprise comme école ou université, mais comme une culture personnelle dans laquelle on apprend à pratiquer les vertus : la justice, la sagesse, la modération. Se cultiver soi-même, cette éducation platonicienne, rapproche l'âme de son origine divine. Et de toutes les vertus à pratiquer, l'indépendance intellectuelle, la sienne propre, est un conseil qui, à l'heure où nous vivons des clabaudages et des polarisations de toutes sortes, est une leçon inestimable. Il se place ici au même niveau que les sceptiques, qui rejettent tout dogme et s'abstiennent de tout jugement. Prendre le temps de réfléchir à ce qui est juste et pourquoi, plutôt que de se laisser guider par des leaders d'opinion ou des charlatans en mal de connaissance. « Le but de l'éducation est la vertu et le désir de devenir un bon citoyen », dit le philosophe.

S'il est un courant philosophique à l'approche pratique, c'est bien le stoïcisme. Fondé par Zénon de Cition au IIIe siècle avant J.-C., il considère que rien n'est plus propice à une bonne vie que de garder l'esprit serein et le moral inchangé.

Les stoïciens nous apprennent à apprécier ce que nous avons avant qu'il ne soit trop tard, à cultiver la tempérance face à l'adversité, à vivre en harmonie avec la nature, ils nous invitent à voir les choses telles qu'elles sont, même si elles sont en contradiction avec ce que nous pensons, car ce n'est qu'ainsi que nous trouverons la vérité. Ils proposent de contrôler les désirs et de freiner les emportements. Ces conseils nous invitent à vivre avec intégrité, contribuant ainsi à une vie commune plus heureuse et plus prospère. On retrouve l'empreinte des stoïciens chez Montaigne, Pascal, Schopenhauer et Deleuze.

Zénon, qui a perdu tout ce qu'il avait dans un naufrage, ne parlait pas par ouï-dire. Cette vie bonne était également pratiquée par Sénèque, pour qui la philosophie se fonde sur les actes et non sur les paroles (et qui prône la joie et le détachement de la masse), Épictète (qui insiste sur le fait qu'il ne faut pas se laisser frustrer par ce qui n'est pas en notre pouvoir) et Marc Aurèle dans les Méditations duquel on trouve des conclusions vivifiantes : « La meilleure vengeance est d'être différent de celui qui a causé le mal », « Ce qui n'est pas utile à la ruche, n'est pas utile non plus à l'abeille » ou « Accomplis chacune de tes actions comme si c'était la dernière de ta vie ». Dernière trouvaille des stoïciens, leur memento mori, se souvenir qu'un jour nous mourrons, ce qui soumet l'ego et réduit ce qui est important au correct. Moins de selfies et plus d'écoute de l'autre. Des autres. Un tout dont chaque partie est solidaire des autres.

L'action bien faite comme fin

Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, nous dit que toutes les actions humaines tendent vers une fin, qui est le bonheur. Tout le reste (plaisirs, gloire, enrichissement, bonne image) n’est que substituts. Le bonheur est la fin ultime de la vie bonne, entendue comme plénitude, bien-être. Il l'appelle eudaimonia, que l'on pourrait traduire par « épanouissement humain ». Le but ne peut pas être, selon lui, la gloire ou la richesse, car celles-ci détournent du bonheur.

Le bonheur est ce à quoi conduisent nos actions lorsqu'elles sont guidées par la raison et visent l'excellence. Il est important « d'agir avec justesse » : ceux qui le font « atteignent le bien et le beau, et la vie est alors en elle-même agréable ».

Comme outil, il développe sa doctrine du « juste milieu », qui consiste à se situer dans un juste milieu entre l'excès et le défaut. Trop de courage devient de la témérité, trop peu de courage devient de la lâcheté. Pour Aristote, les grandes vertus sont la sincérité, la patience, l'esprit, la générosité et la justice. Tout le contraire de la société du spectacle qui nous a envahis, où l'on arrive à ne pas reconnaître l'indiscutable pour ne pas nuire à son image et pour préserver son moi idéalisé.

Sachant que le juste milieu n'est pas une science exacte, Aristote propose l'habitude, afin que chacun puisse mesurer où le trouver. « L'homme est né pour deux choses : comprendre et agir, comme s'il était une sorte de dieu mortel ». Il n'oublie pas l'importance de la vie contemplative, de la beauté, qui apaise l'âme et enseigne le bien. Contempler, un excellent avertissement pour les temps où notre attention est expropriée.

Le cynisme incompris de Diogène semble s'être emparé des modes de vie de la postmodernité. L'impudeur, la provocation et l'indolence face à la morale sont monnaie courante, mais les cyniques exigeaient surtout la franchise dans la conversation et le renoncement au superflu, plus proche du spartiate que de l'épicurien. Épicure, d'ailleurs, était régi par quatre règles (« le quadruple remède » comme l'appelaient ses disciples) : Ne crains pas les dieux ; Ne crains pas la mort ; Le bien est facile à atteindre ; Le mal est facile à supporter. Quatre lignes directrices qui, selon lui, garantissent une vie bonne.

Le trait d'union entre le monde antique et le monde moderne dans la tradition philosophique est saint Augustin. C'est à lui que nous devons la synthèse d'une vie bonne qu'il appelle ordo amoris ; l'amour bien ordonné nous assure le bonheur. Cela ressemble à un virelangue, mais essayons de comprendre ses mots : « Vit de façon juste et sainte celui qui a un amour ordonné, de telle sorte qu’il n’aime pas ce qui ne doit pas être aimé, qu’il n’aime pas moins ce qui doit être aimé, qu’il n’aime pas davantage ce qui doit être aimé moins, qu’il n’aime pas de manière égale ce qui doit être aimé plus ou moins, ni plus ou moins ce qui doit être aimé de manière égale ». L'amour est le chemin, pourrait-on dire. Il vaut la peine de le méditer en période d'hypertrophie émotionnelle.

Au XVe siècle, les humanistes reprennent les traditions philosophiques pour mettre en pratique la vie bonne. On trouve des platoniciens (Pic de la Mirandole), des épicuriens (Thomas More), des sceptiques (Montaigne), des stoïciens (Bruni) et des cyniques (Érasme). La vie bonne est donc l'une des grandes préoccupations de l'humanisme.

À l'époque baroque, Baltasar Gracián est peut-être l'un des grands exemples philosophiques. Il prône la fuite des apparences (« Il y en a beaucoup qui se paient de ce qui est apparent »), la prudence, la volonté, l'intelligence et la retenue, ce qui, pour une époque convulsive comme la nôtre, est un véritable défi. Gracián insiste, comme les classiques, sur l'importance d'avoir son propre jugement. Ce n'est pas pour rien qu'il a intitulé son essai le plus célèbre « El criterio » (Le critère).

Malgré l'hétérogénéité de leurs nuances, les moralistes (Pascal, La Fontaine, La Bruyère, La Rochefoucauld, Castiglione, Stendhal, Adam Smith) étaient des observateurs des coutumes de leur époque, leurs manières de vivre et d'être en relation avec les autres. L’attention était l’un de leurs axes essentiels : attention à la manière dont l’homme vit, à ce qui le pousse à agir, à ce qu’il recherche, afin de distinguer le bien du mal à partir de ces observations, en veillant à ce que chaque instant de la vie soit le meilleur possible.

Mais distinguer le bien du mal n'est pas aussi facile qu'il y paraît, cela relève parfois de l'exploit. C'est pourquoi Kant a défini le moyen d'y parvenir, « l’impératif catégorique », cette action qui devient nécessaire, absolue, inconditionnelle, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle se produit. Une sorte de loi œcuménique : « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle ». C'est la plus connue, mais il y en a d'autres non moins significatives : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta propre personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Cette vertu, qui vise à mener une vie bonne, n’est pas un idéal inaccessible, mais une question de volonté, « une promesse que la personne se fait à elle-même ».

La volonté se lie ici au sacrifice, qui a une presse désastreuse de nos jours à cause du temps qu'il demande, comme si nous avions oublié que ce qui compte vraiment (l'amour, la connaissance, l'amitié...) demande toute une vie. Un devoir parfait, kantien, est de ne pas mentir. Un autre est de rejeter les dogmes parce qu'ils détruisent la raison. Un autre est de penser par soi-même.

L'attention (« principale qualité de l'âme », selon Malebranche) permet d'écouter, soi-même, l'autre, les autres. Et l'écoute et l'attention nous libèrent du mal, à savoir : le présentisme, la fragmentation, la superficialité, l'abaissement du seuil d'empathie, l'atrophie de la capacité de narration et le fantasme d'invulnérabilité.

Au temps où la tradition européenne se concentrait sur la dialectique entre l'idéalisme (avec ses dérivés marxistes et romantiques) et le proto-existentialisme, on retrouve Freud, repris quelques décennies plus tard par Foucault, pour qui la vie bonne consiste en la satisfaction des besoins, ce qui nous condamne à un bonheur éphémère.

S'ouvrir aux autres

Le 20e siècle est peut-être le plus pessimiste quant à la possibilité de mener une vie bonne dans un monde d'inégalités, d'exploitation et de conflits. Heureusement, il nous reste Russell, pour qui le bonheur n'est pas un don divin, mais que l'on peut atteindre en persévérant : « Trois passions, simples mais d'une intensité écrasante, ont gouverné ma vie : l'aspiration à l'amour, la recherche de la connaissance et une pitié sans limite pour la souffrance de l'humanité ». Cette confession pourrait bien être une formule pour y parvenir.

Russell identifie quelques-unes des causes qui minent une vie bonne : le « succès compétitif », qui nous conduit à préférer le pouvoir à l'intelligence (ce qui fait de nous, selon lui, des dinosaures) et provoque la tristesse ; le repli sur soi, en négligeant le monde. L'antidote est de s'ouvrir aux autres, de perdre la peur, qui est toujours là où nous trouvons le mal, qui nous fait avancer sur la pointe des pieds. Que le moi n'ignore pas ses circonstances, ce qui l'entoure et qui lui permet d'être lui-même. « Le secret du bonheur est que vos intérêts soient aussi larges que possible et que vos réactions aux choses et aux personnes qui vous intéressent soient, dans la mesure du possible, amicales et non hostiles », nous dit Russell.

Plus novatrice est la proposition d'Hannah Arendt. Pour elle, la vie bonne doit comporter l'action et le discours (ce qui, selon les experts, est rongé par les nouvelles technologies) ; sans eux, elle est morte. Par l'action et le discours, nous nous insérons dans le monde et nous sommes pour les autres. La vie politique est la vraie vie, car « seule l'action est l'apanage exclusif de l'homme ; ni une bête ni un dieu n'en sont capables, et elle seule dépend entièrement de la présence constante d'autrui ».

La vie politique exige, une fois de plus, un vieux mot de passe : se connaître soi-même toujours mieux. En ce sens, les efforts d'Alfred Schmidt sont remarquables, puisqu'il propose de reprendre l'exigence des Lumières d'apprendre à se gérer soi-même et de ne pas abandonner son propre soin aux mains des autres. Telle est l'essence, le cœur de la vie bonne. C’est le vieil adage latin vindica te tibi, revendique pour toi la possession de toi-même.

Voir, El arte de vivir

Dessin : Óscar Gutiérrez

 

 

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Les commentaires de nos lecteurs (1)

Margaret Henderson 31.05.2025 The question of what is a good life is fascinating. I’m sure I’m typical of many others in thinking more and more as I get older about what makes a good life. The pressure of not so much time left certainly makes me question more what I do with my limited time and more limited energy. In no particular order, I think I choose activities which - reinforce very good relationships with family and friends - help other people as best I can - choose walks, books, music that give me the most pleasure. I realise I am not very philosophical!