La maison délimite un territoire, marque un intérieur et un extérieur, fournit un abri et une sécurité. L'éthique trace des frontières, inspire des règles, délimite les rôles et les fonctions, signale ce qui doit être fait et ce qui doit être évité. L'éthique est la maison des humains. Le mot grec ‘êthos’, d'où vient le terme ‘éthique’, a également le sens de ‘demeure’.
L'étymologie du mot ‘règle’ renvoie à la racine reg- qui signifie le ‘mouvement qui trace une ligne droite’. Une dimension matérielle et une dimension morale coexistent dans cette notion. « La ‘ligne droite’ représente la norme ; la regula, est ‘l'instrument pour tracer la ligne droite’ qui fixe la règle. Ce qui est droit s'oppose dans le domaine moral à ce qui est tordu, entortillé ; or, puisque droit équivaut à juste, honnête, son opposé, tordu, entortillé sera identifié à traître, menteur, etc. ». La dimension éthique est donc dans l'ADN de la « règle ». Et l'éthique est la manière dont l'homme habite le monde, et l'habite avec les autres hommes. Tout comme la maison délimite un territoire, signale un intérieur et un extérieur, fournit un abri et une sécurité, l'éthique trace des frontières, inspire des règles, délimite des rôles et des fonctions, signale ce qui doit être fait et ce qui doit être évité. L'éthique est la maison de l'homme, indispensable à son habiter dans le monde. Ce n'est pas un hasard si le mot grec êthos, d'où vient le terme éthique, a également le sens de logement, habitation.
Je propose quelques mots qui, mis bout à bout, constituent une éthique minimale de comportement mais qui peut servir de boussole pour orienter la vie avec les autres. C'est un itinéraire composé de six mots clés qui sont autant de comportements qui s'échelonnent : sérieux, respect, loyauté, sincérité, responsabilité, intégrité.
Sérieux
Le sérieux est la condition préalable à la construction d'un comportement éthique. C'est une condition de base pour aborder les choses et les sujets avec une attitude de considération et d'attention, quelle que soit leur ampleur, mineure ou majeure. Il s'agit de la façon dont on fait les choses, dont on travaille. C'est aller au fond des choses, éviter la superficialité et faire comme si de rien n'était, c'est refuser de déléguer, de se décharger des problèmes sur les autres, d'agir pour faire plaisir à quelqu'un. Elle inclut la réflexivité, la diligence, le comportement qui conduit à ne pas réagir face à un problème en s'interrogeant sur le bénéfice ou le préjudice que l'on peut tirer de sa position. Le sérieux refuse d'affronter les problèmes en les considérant sous l'angle de l'avantage possible à en tirer. C'est aussi la discrétion et la confidentialité à l'égard des tâches que les autres nous confient. Choix individuel, le sérieux est aussi une attitude qui se répand, tout comme elle peut déranger. Un trop grand sérieux de la part de l'individu peut l'amener à ne pas se laisser aller et à aller au fond des choses au point de découvrir ce que l'on voudrait garder caché et inexprimé, dissimulé dans l'omerta : cordées (???), collusions, cliques, lobbies, favoritisme, intérêts personnels... Le sérieux, c'est alors évaluer les effets que nos choix peuvent avoir sur les autres, et c'est aussi la pondération, donner du poids (pondus) aux choses. Le sérieux ne permet pas de se dérober, d'arrondir les angles, de répondre de manière mécanique et insaisissable. C’est aussi du tact qui devient du respect.
Respecter
Le respect, l'art de l'estime mutuelle, c'est avant tout regarder attentivement, regarder en arrière (re-spicere), observer avec égard. Le respect sait évaluer les limites et s'y tenir, connaît les limites de ses actions et ne les dépasse pas. Avant tout, le respect jette les bases pour créer la confiance, qui est une dimension nécessaire des relations éthiques. La création d'un climat de confiance est un travail fondamental du leadership. Si je ressens de la confiance, je me sens en sécurité, je suis motivé et enthousiaste. Comment la confiance se construit-elle ? Plus précisément, avec la parole et l'exercice du leadership. La parole et le pouvoir se conjuguent pour susciter la confiance ou, au contraire, la méfiance, le soupçon, la défiance et, par conséquent, le mécontentement et la démotivation. Et cela représente un terrain fertile pour des comportements non éthiques. Lorsque l'on parle, on exerce toujours un pouvoir, et de nombreuses attitudes contraires à l'éthique sont suscitées par un usage arrogant, grossier, violent, irrespectueux des mots, qui présume que l'autre personne sait ce qu'elle ne doit pas ou n'est pas censée savoir. Si la confiance est rompue, les comportements réticents, la recherche de l'intérêt personnel et l'égoïsme se manifestent. Si, pour se faire accepter, les dirigeants diminuent chaque jour leur sérieux et deviennent moins exigeants, ils sapent leur propre autorité.
Loyauté
La loyauté repose sur la confiance. La loyauté est un lien, une alliance, un accord en vue d'objectifs à atteindre et de chemins à construire ensemble. La loyauté doit être cultivée par celui qui fournit les objectifs en donnant des explications et des raisons adéquates. Dans la loyauté, la volonté est engagée vers une fin, un but. Et la volonté est la faculté complexe qui implique que celui qui veut, obéit aussi à ce qu'il veut. Celui qui veut quelque chose se donne un ordre et y obéit. La capacité de vouloir est importante pour l'édification d'une personne qui sache se déterminer éthiquement. Si le lien de loyauté - non la loyauté aveugle ou la flatterie -, n'est pas mis en place, cela ouvre la voie aux attitudes individualistes, à l'autodéfense, au retranchement dans son propre espace. L'étymologie du mot loyauté fait référence à la loi également qu’à l'élection, au choix : la loyauté est un choix quotidien. Le leader, celui qui gouverne et commande, doit savoir se faire choisir chaque jour comme leader : il n'est pas un leader seulement en vertu de son rôle, mais il doit savoir mériter une confirmation quotidienne sur le terrain. Si, pour être acceptés et rechoisis, les leaders diminuent chaque jour leur sérieux et deviennent moins exigeants, ils enlèvent la base de leur propre autorité. Et puis on tombe dans la collusion, dans une mentalité mafieuse. Le comportement mafieux se matérialise par des lobbies, des cliques, des gangs, des complicités, des dissimulations mutuelles, des échanges de faveurs, dans la création d'alliés et d'ennemis allégés. La loyauté va alors de pair avec la sincérité. La sincérité, la loyauté et le respect conduisent à un usage véridique de la parole, qui ne calomnie pas, n'intimide pas, ne fait pas de chantage. Une utilisation éthique du mot.
Sincérité
Le comportement éthique a donc besoin de la transparence de la sincérité, de reconnaître qu'il y a du trouble et de le nommer et qu'il y a du propre et de le dire. La sincérité, c'est la franchise, l'art de la liberté d'expression. Elle se rapproche de la vertu de parresía, la franchise, la liberté de parole, centrale dans la démocratie athénienne antique. La sincérité ne consiste pas à tout dire, mais à ne pas faire semblant et à ne pas mentir. La sincérité est une communication claire qui ne trompe pas, n'embobine pas et n'induit pas en erreur. Elle s'oppose à l'opacité, à la bave dans laquelle se répandent les calomnies, les mots qui bouleversent et empoisonnent les relations, établissent des rapports de force, créent la méfiance. Un climat boueux dans lequel la corruption peut proliférer. La sincérité, c'est aussi reconnaître honnêtement ses erreurs, en fuyant les mécanismes d'autojustification et de rejet de la responsabilité sur les autres. Les dirigeants, eux aussi, doivent assumer la capacité de reconnaître et de supporter les erreurs commises par eux-mêmes. Cela n'affaiblit pas, mais au contraire renforce l'autorité d'une personne. La sincérité, la loyauté et le respect conduisent à un usage véridique de la parole, qui n'est pas synonyme de calomnie, d'intimidation ou de chantage. Une utilisation éthique de la parole. L'homme véridique est le héros de la parole. Dans une situation où l'on trafique la parole pour manipuler les consciences et avoir du pouvoir sur elles, où l'on se moque de la vérité et où on la déforme, l'« homme de parole », c'est-à-dire celui qui est véridique, qui ose une parole limpide et rigoureuse, et qui est prêt à en payer le prix, se trouvera marginalisé. Charles de Montesquieu l'a bien compris et écrit dans son « Éloge de la sincérité » : « L'homme simple qui n'a que la vérité à dire est regardé comme le perturbateur des plaisirs publics. On le fuit parce qu'on ne l'aime pas du tout ; on fuit la vérité qu'il proclame parce qu'elle est amère, la sincérité qu'il professe parce qu'elle ne porte que des fruits amers, et on la craint parce qu'elle est humiliante, parce qu'elle blesse l'orgueil - notre passion favorite -, parce qu'elle est un peintre véridique qui nous montre difformes tels que nous le sommes vraiment ». La parole vraie est la parole sans masque, elle démasque en effet les jeux de pouvoir et la corruption des corrompus. Ce mot courageux est l'expression de la responsabilité personnelle.
Responsabilité
La responsabilité place l'individu dans un lien constitutif avec les autres. Elle me rend responsable de moi, de mon comportement, de mon travail, de mes erreurs, devant les autres et devant ma conscience. J'insiste sur une dimension de la responsabilité. Re-spondeo, un verbe qui signifie ‘répondre’ et dont dérive le terme ‘responsabilité’, a aussi en soi le sens de ‘promettre’. Spondeo signifie ‘promettre’. Dans la responsabilité, il y a la prise d'un engagement envers les autres et le respect d'une promesse faite. Une personne ayant une stature éthique est capable de promettre et de tenir ses promesses. La promesse, selon Friedrich Nietzsche, est « mémoire de la volonté » et, en tant que telle, implique une responsabilité. Nietzsche affirme que l'histoire de l'homme qui a appris à promettre, à donner une durée à sa volonté au point de construire des histoires, des liens, des appartenances, « est la longue histoire de l'origine de la responsabilité ». Bien sûr, la promesse est une affaire délicate. On ne peut pas tout promettre (promettre la lune). L'excès de promesses devient un mensonge. En outre, promettre, c'est toujours se compromettre soi-même, être prêt à répondre de soi comme de l'avenir. En promettant, je crée une obligation (envers moi-même : je me commande) et un droit (envers le destinataire de la promesse : je m'oblige envers lui). La promesse tenue crée la confiance et rend celui qui a promis digne de confiance. Et il parle de la capacité de la personne à être dans ce qu'elle dit et dans ce qu'elle fait : dans ses paroles et dans ses actes. Nous arrivons ainsi au sommet de notre voyage, l'intégrité. Se réjouir du contentement que procure le fait de savoir que faire le bien, c'est toujours se faire du bien aussi.
Intégrité
La personne possède une intégrité qui lui permet de faire cohabiter compétences professionnelles, qualités humaines et relationnelles. L'intégrité fait référence à ce qui est entier, non corrompu, non brisé. Et donc pas double non plus. L'intégrité fait référence à la rectitude et à la justesse, à l'irréprochabilité, à la solidité et à la cohérence. L'homme intégral a une base intérieure solide et n'est manipulable par personne ni exposé à aucune instabilité. Il est incorruptible. L'intégrité fait donc référence à l'honnêteté. Et l'honnêteté, étymologiquement, rappelle l'honneur. La personne honnête est honorée et louée pour elle-même, avant même ses actions et les produits de ses actions. C'est aussi la personne qui sait s'habiter elle-même, qui est contente d'elle-même. Elle peut se réjouir de ce contentement qui vient de la conscience que faire le bien, c'est toujours aussi se faire du bien à soi-même.
Voir, Regole per delle scelte etiche. Un itinerario formato da sei parole chiav
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