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Idolâtrie et société

Altrimenti (ilblogdienzobianchi.it/) 19.09.2021 Enzo Bianchi Traduit par: Jpic-jp.org

L'idole avant d'être un faux théologique (c'est-à-dire concernant la foi chrétienne) est un faux anthropologique : c'est une force qui pervertit l'homme, lui fait emprunter et parcourir des chemins de mort dans lesquels, qu'il le sache ou non, il arrive à se perdre. L'idole naît lorsque l'être humain ne se donne pas d'interdits, n'accepte pas et ne se fixe pas de limites : alors il veut tout et tout de suite, et il le veut à portée de main, sans tenir compte des autres.

Il y a quelques décennies seulement, une barrière, une ligne de démarcation infranchissable se dessinait entre les croyants d'un côté et les athées et les agnostiques de l'autre. Cette vision schématique, qui identifiait les non-croyants comme les habitants de la ville de l'idolâtrie et les chrétiens comme les habitants de la ville de Dieu, a maintenant complètement disparu et semble en effet dénuée de sens, non seulement parce que l'incrédulité traverse également le cœur des croyants, mais surtout parce que l'idolâtrie est présente des deux côtés.

Oui, chrétiens et non-chrétiens vivent dans la même ville où l'idolâtrie se manifeste comme une dominante agissante et comme une tentation puissante. Il est vrai qu'être chrétien implique une répudiation des idoles, des faux dieux, par un changement concret de vie par rapport à la mondanité, mais, en fait, le parcours du croyant est marqué par des chutes, par l’aliénation aux idoles.

Le croyant et le non-croyant se retrouvent donc dos à dos dans la confrontation continue avec les dominants idolâtres : la lutte contre l'idolâtrie devrait être un engagement des deux côtés.

L'idole, en effet, avant d'être un faux théologique (c'est-à-dire concernant la foi chrétienne) est un faux anthropologique : c'est une force qui pervertit l'homme, lui fait emprunter et parcourir des chemins de mort dans lesquels, qu'il le sache ou non, il va se perdre. L'idole naît lorsque l'être humain ne se donne pas d'interdits, n'accepte pas et ne se fixe pas de limites : alors il veut tout et tout de suite, et il le veut à portée de main, sans tenir compte des autres.

Un aspect de l'idolâtrie présent dans notre vie sociale est certainement constitué par le narcissisme. Mais qu'est-ce que cela veut dire que la culture et la société dans lesquelles nous vivons sont narcissiques ? Au niveau de la pathologie individuelle, le narcissisme se caractérise par un investissement exagéré dans sa propre image au détriment du « soi », par le déni du corps et des sentiments pour pouvoir exhiber et entretenir cette image de soi qui permet d'être séduisant, d'obtenir et de se voir reconnaître le pouvoir et le contrôle sur les autres.

Sur le plan social et culturel, le narcissisme est essentiellement une perte des valeurs humaines.

« Quand on ne s'intéresse plus à l'environnement et aux autres, quand la prolifération des choses matérielles devient la mesure du progrès dans la vie, quand la richesse occupe une position plus élevée que la sagesse, quand la notoriété est plus admirée que la dignité et quand la réussite est plus importante que le respect de soi, cela signifie que la culture surestime 'l'image' et doit être considérée comme narcissique » (A. Lowen).

Oui, nos villes sont désormais devenues « un labyrinthe d'images » (Michel De Certeau) et nous vivons dans une société envoûtée par les images, mais qui a perdu le sens du symbole. Plus que jamais aujourd'hui l'esse est percipi (exister, c'est être vu) semble se réaliser, où l'image de la réalité se superpose à la réalité elle-même.

La multiplicité des images devient multiplicité des possibilités de « modes de vie », de « réalisation de soi » dans un univers de néo-polythéisme, de relativisme radical et d'indifférenciation, résultat d'une culture et-et qui supprime les règles et nie les limites qui sont indispensable aussi bien pour l'humanisation de la personne et son édification individuelle que pour la coexistence civile.

Mais le narcissisme, et les phénomènes connexes de perte de symbolique et d'expropriation de l'intérieur opérés par la civilisation de l'image, condamnent à la fragmentation, à l'isolement. Et aujourd'hui la fragmentation et la désintégration affligent le temps, le corps, la société.

Une question se pose : la version moderne (meilleure, postmoderne) subie aujourd'hui tant au niveau de la construction du soi personnel que de la structuration de la vie collective, n’est-elle pas la version moderne (meilleure, postmoderne) de l'ancien divide et impera ? C'est-à-dire que la désintégration et l'effilochage qui affligent à la fois l'individu et la société (pensons, par exemple, à la crise de l'institution familiale), ne sont pas le terrain le plus approprié pour y réclamer une réponse « forte », qui compacte les « valeurs » et les institutions brisées, ou du moins qui se présente avec cette fonction ?

L'autre dans notre société est de plus en plus « l'homme qui regarde », le voyeur, non le partenaire, le spectateur passif, non l’acteur ! Et cela nous amène à mentionner l'aspect politique de l'idolâtrie. Dans un temps de transition d'un ordre socio-politique à un autre, d'instabilité de la structure sociale et de la situation économique, d'incertitude éthique, de crise du principe d'autorité et des religions historiques, qui laissent place à la diffusion d'un religieux sauvage et syncrétique, le besoin se fait sentir de trouver une image qui soutient et renforce l'identité collective et personnelle. L'idole remplit précisément cette fonction rassurante. Dans l'idole, le divin est identifié à un visage familier, à un artefact humain. L'idole abolit la distance avec Dieu et nie son altérité : c'est un divin dépersonnalisé et rendu inoffensif, c'est une construction humaine, c'est un « dieu à l'image de l'homme » qui protège la cité, qui rassure la communauté qui  reçoit de lui l'identité et par qui elle est libérée de la peur et se sent destinée au bonheur.

Mais la peur et la tristesse sont justement les deux émotions fondamentales que le narcissique supprime pour présenter une image perpétuellement confiante et souriante de lui ou d’elle-même, en prétendant participer, voire détenir, le bonheur qu'il-elle promet aux autres par son travail de séduction afin d’obtenir le pouvoir ! Pour cette raison la politique parvient souvent à susciter des idoles : « Le Grand frère, le Grand timonier, le Führer ou 'l'homme qu'il faut' doivent être divinisés : devenu dieux, ils détourneront le divin, ou plus vulgairement, le destin. L'idolâtrie donne sa véritable dignité au culte de la personnalité, celle d'une figure familière, domestique du divin » (J. L. Marion).

De la fragmentation du temps dans d’innombrables temps juxtaposés et pressants imposés par les rythmes sociaux frénétiques, de la décomposition analytique du corps jusqu’à sa réduction à un corps fétiche opéré par le langage publicitaire de la société de consommation, de l’atomisation de la société, un besoin d'unité surgit. Le risque est celui de l’idolâtrie « de Babel », le totalitarisme. Dans la fragmentation et la dépersonnalisation des relations, la distance du pouvoir peut être abolie par un visage familier, qui pénètre dans les foyers de chacun grâce à ces puissants diffuseurs d'images que sont les médias de masse et les réseaux. Mais c'est surtout l'abolition de la distance opérée par ces moyens qui peut déclencher une exploitation idolâtre, afin d'obtenir consensus et pouvoir.

La fin des idéologies, souvent issues aux systèmes idolâtres, n'a pas effacé les besoins et les problèmes auxquels elles prétendaient répondre. Le risque est alors de donner des réponses tout aussi idolâtres, quoique d'un autre signe et sous une autre forme.

Voir Idolatria e società

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