Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Le déclin des Batwa

Mundo Negro 01.10.2019 Carlos Micó Traduit par: Jpic-jp.org

Ouganda : la protection des gorilles de montagne menace les Pygmées. La lutte pour sauver les gorilles de montagne de l'extinction est l'histoire de la façon dont une mauvaise approche de la conservation de la nature peut conduire à la violation des droits de l'homme et à la destruction de vies comme celle des pygmées Batwa qui, expulsés de la forêt qui était leur maison, font face à la disparition imminente de leur culture.

Bien que l'animal qui apparaît sur le drapeau ougandais et qui pavoise en compagnie de l’antilope kobo dans les armoiries du pays soit la grue couronnée, le véritable emblème national est le gorille des montagnes. En effet, ces grands primates sont la principale attraction touristique de la Perle d'Afrique, ainsi qu’on nomme l’Ouganda. Leur image prend le contrôle de l'aéroport Entebbe, apparaît sur les billets de 50 000 shillings et même sur les visas d'entrée dans le pays. Chaque année, ils attirent des milliers de visiteurs, qui paient entre 450 et 600 dollars pour avoir l'opportunité de passer une heure avec eux dans les parcs nationaux de la forêt impénétrable de Buindi et Mhahinga.

Ces animaux ont attiré l'attention de l'opinion publique à la suite des travaux menés entre 1966 et 1985 par l'Américaine Diane Fossey dans le Parc National des Volcans, au Rwanda voisin. A cette époque, l'espèce était, avec 240 spécimens, au bord de l'extinction. Environ la moitié de ces animaux vivaient dans les montagnes du sud-ouest de l'Ouganda. Pour cette raison, en 1991, sous les auspices de l'Uganda Wildlife Authority (UWA) et du World Wildlife Fund (WWF), ont été fondés les parcs nationaux de Mhahinga et Bindi, en rejoignant le parc national congolais des Virunga et le parc national des volcans au Rwanda, tous deux fondés en 1925.

En 1994, compte tenu de la riche biodiversité et de l'importance stratégique de ces montagnes pour la conservation des gorilles, Buindi a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. En raison des efforts de conservation et des politiques gouvernementales strictes, la population de gorilles de montagne a récemment dépassé la barre des 1 000, en changeant son statut de « gravement menacé » à « en danger », selon l'Union internationale pour la conservation de la nature. Un succès qui, en parallèle, a stimulé le développement économique des districts de Kabale, Kisoro et Rukungiri dans le sud-ouest défavorisé de l'Ouganda : huit dollars de chaque permis d'accès au parc national vont aux communautés locales. Mais, avec la protection des gorilles, le début de la fin est venu pour les 3 000 à 7 000 Pygmées Batwa qui, selon les estimations, habitaient la jungle, en parfaite harmonie avec les gorilles et le reste de l'écosystème.

Lors de la création des parcs, l'UWA a procédé à l'expulsion de ces Pygmées, parfois violemment. Arrachés à la jungle, leur monde s'est effondré. Pratiquement du jour au lendemain, leur domicile leur a été interdit. Depuis lors, ni le gouvernement ougandais ni l'UWA ne leur ont permis d'accéder aux avantages tirés de l'écotourisme. Ils n’ont pas non plus offert de compensation pour l’expulsion de leur territoire. En perdant leur terre, les Batwa ont également perdu leur voix. Ainsi, ces anciens nomades ont été contraints de s'installer sur les abords des parcs et sur les bords des routes, où les traditionnels mogulus, petites huttes construites en entrelaçant branches et feuilles, ont été remplacées par des cabanes sordides.

Une adaptation difficile

La colonisation forcée et la transition vers une économie productive basée sur l'argent n'a pas été facile pour les Pygmées, une culture de chasseurs-cueilleurs. Ils sont maintenant pris au piège entre deux mondes : la jungle, dans laquelle ils ne peuvent plus retourner, et le monde bantou, qui ne les accepte pas. Un exemple clair de cette adaptation difficile est l'incident qui a eu lieu en février 2017. Un Twa de 72 ans, Kafukuzi Valence, a été arrêté pour avoir chassé une petite antilope à l'intérieur du parc national de Buindi, ce qui avant l'expulsion faisait partie de sa routine. Accusé de braconnage, il a été emprisonné pendant sept mois, tandis qu'une amende de 5,7 millions de shillings ougandais - environ 1 500 euros – lui a été infligée, une somme impossible à réunir pour cette communauté privée de ressources.

Mais, en plus, la relation avec leurs voisins bantous n'aide pas. Traditionnellement, les Pygmées, tout au long de leur présence sur le continent, couvrant la forêt équatoriale de l'Afrique centrale, du Cameroun au Gabon, du Rwanda à l'Ouganda, en passant par les deux Congos et la République Centrafricaine, ont été considérés par les Bantous comme des êtres primitifs et inférieurs. Le terme même de pygmée est utilisé souvent avec une nuance péjorative. Les Batwa vivent soumis à eux, sans autre alternative que d'effectuer des tâches agricoles dont ils n'avaient pas besoin dans la jungle et qui leur sont totalement inconnues. Pour une journée de travail au service des propriétaires locaux, un Twa reçoit à peine l'équivalent d'un euro.

D'autres fois, le paiement consiste en de maigres quantités de nourriture. Parfois, certains Batwa ont la possibilité de gagner un peu plus d'argent en se produisant dans des attractions comme la Batwa Experience, ou le Batwa Trail, des spectacles théâtraux pour lesquels les touristes paient entre 80 $ et 100 $ pour voir des représentations scénarisés - et irréalistes - de la culture des Pygmées de la forêt africaine.

La marginalisation commence avec les enfants. Les Bantous refusent souvent à leurs enfants l’autorisation de partager une école avec des enfants pygmées. Des écoles d'où, d’ailleurs, les petits Batwa fuient souvent. Quand on n'a presque rien à manger, étudier devient vraiment difficile.

Une vérité inconfortable

Lors de nos voyages en Ouganda, Buindi était une étape incontournable, ses gorilles étaient le point culminant du menu. Nous avons essayé de contacter directement les Batwa qui ont survécu dans les communautés entourant le parc national. Ce fut impossible. Il y avait toujours un intermédiaire, soit des agents de l'UWA, soit un propriétaire foncier, qui nous offrait gentiment de nous présenter « ses Pygmées ». Une fois amenés devant eux, ils nous prévenaient toujours que personne parmi les Pygmées ne parlait anglais et que, par conséquent, ils agiraient en tant que traducteurs. A leur convenance, évidemment.

« Ce que vous voulez savoir, demandez-le à moi. Ils ne vous comprennent pas », a déclaré Moses, l'agent de l'UWA qui nous accompagnait.

Je voulais connaître de première main la position officielle de l'UWA. Alors, faisant semblant de ne pas connaître l'histoire, j'ai demandé : « Vous nous avez dit que les Batwa vivaient de la chasse dans la forêt. Alors pourquoi sont-ils ici en dehors de la forêt ? »

« L'UWA les a fait partir pour établir le parc national et sauver les derniers gorilles restants. Sinon, les gorilles n'existeraient plus. La chasse les tuait ».

« La chasse des Pygmées ? Les Pygmées prenaient-ils le risque de chasser quelque chose d'aussi gros et dangereux qu'un gorille, en pouvant chasser les céphalophes, les oiseaux ou des singes plus petits ? »

« Les cordes et les pièges avec lesquels ils chassaient attrapaient parfois la main ou le pied d'un gorille. Le membre entrait en gangrène et l'animal finissait par mourir de l'infection ».

Certains Batwa avaient appris au groupe que je dirigeais qu'ils fabriquaient leurs pièges avec des fibres végétales. Puis ils ont commencé à crier et à sauter, faisant semblant de chanter et de danser d'anciennes chansons de la jungle. D'autres sont restés silencieux, fixant leur regard soumis sur le sol. Le débat avec Moïse s'est poursuivi. En tant que membre de l'UWA, il était très confiant et fier de ce qu'il disait. J'ai insisté.

« Mais Moïse, ces pièges étaient fabriqués avec des cordes végétales, ils nous l’ont juste appris. Un gorille peut facilement rompre ces liens avec ses mains ou ses dents ».

« Oui, mais le problème est que les chasseurs bantous rejoignaient les groupes de chasse twa et eux ils apportaient des liens et pièges en métal. Ce sont eux qui tuaient les gorilles ».

De toute évidence, tous ces arguments ne sont que des excuses. Il est peu probable que les pièges en bois et en fibres végétales des Batwa aient constitué un danger pour la survie des derniers gorilles. De même, il est difficile de croire à la forte incidence des outils en métal utilisés par les chasseurs bantous. En Afrique de l'Ouest, ces méthodes de chasse, utilisées pour obtenir de la viande d'animaux sauvages, dite « viande de brousse », posent un réel problème de conservation. Mais en Ouganda, où la terre est fertile et où la nourriture n'est pas rare, il est peu probable que cette pratique ait été responsable de la mise au bord de l'extinction des gorilles, comme le prétend l'UWA.

Le principal problème pour la survie des gorilles de montagne a toujours été le braconnage, qui n'utilise en aucun cas des nœuds coulants et des pièges, mais plutôt des méthodes plus efficaces telles que les machettes et les armes à feu. Par conséquent, sous prétexte de la lutte contre le braconnage, le gouvernement ougandais et l'UWA ont expulsés les Batwa de la forêt, non pas parce qu'ils représentaient un danger pour les gorilles, mais dans le but de les contrôler, même s'ils n'étaient pas reconnus comme citoyens. D'autre part, leur mode de vie non productif est vu comme un primitivisme qui n'intéresse pas le gouvernement ougandais, qui vise à offrir au monde une image de modernité, de développement et un engagement ferme en faveur de la conservation de la nature.

« Nous avons restauré la forêt. Maintenant, c'est comme avant que les Pygmées y arrivent. Cela appartient entièrement aux animaux », dit Moïse avec un sourire satisfait.

Ce dernier argument est particulièrement douteux quand on constate que, dans d'autres parcs nationaux importants ougandais, comme le Queen Elizabeth, également géré par l'UWA, il existe des établissements humains dont l'impact sur la faune et le paysage est sans aucun doute beaucoup plus important que celui que les pygmées pourraient avoir dans les forêts où ils sont nés. Il est triste de voir comment quelque chose de positif, la conservation de la nature et des espèces menacées, conduit à la destruction des derniers peuples primitifs de la planète.

Il n'est pas exagéré de dire que, pour le gouvernement ougandais et l'UWA, la vie d'un gorille a plus de valeur que celle d'un Twa.

S’organiser ou mourir

Compte tenu de l'abandon institutionnel, de la marginalisation et de la dépendance sociale auxquelles le peuple des Pygmées est soumis, leurs espoirs reposent entre les mains des ONG, pour la plupart de nature étrangère et religieuse, même si en 2000 à Kisoro, a été fondée l'Organisation unie pour le Batwa Development (UOBDU), la seule organisation créée par les Batwa eux-mêmes pour revendiquer leurs droits.

Les principaux objectifs de ces organisations sont de fournir aux habitants de la forêt des terres arables et des semences pour leur apprendre à pratiquer une agriculture de subsistance qui réduit la dépendance vis-à-vis de leurs voisins. Les conditions insalubres dans les bidonvilles où ils vivent font que, selon les données du programme de développement twa, 38% des enfants batwa meurent avant d'avoir atteint l'âge de cinq ans quand, pour le reste des enfants ougandais, ce taux est de 18%. Par conséquent, les améliorations du logement sont également considérées comme une priorité. Enfin, l'introduction de l'alphabétisation devient le principal moyen de revendiquer leurs droits et ainsi de devenir égaux avec le reste des Ougandais. « Il n'y a pas de vie pour nous, ni à l'intérieur ni à l'extérieur de la forêt », se lamente Alice Nyamihanda, membre éminent de l'UOBDU et première Twa à avoir obtenu son diplôme universitaire.

Malgré cette organisation grandissante, les revendications des Pygmées n'incluent pas un retour à la forêt. Les anciens ont assumé qu'ils ne pourraient jamais y revenir, et la première génération de Batwa née hors de la forêt se trouve dans une impasse identitaire. Leurs aspirations ne sont pas tant de retourner dans la maison de leurs ancêtres, que d'être reconnus comme citoyens et d'avoir les mêmes droits que le reste de la population, quitte à renoncer définitivement à leur ancienne tradition. Ils sont fiers de leur culture, perdue sans qu’ils puissent en être blâmés, mais nous pouvons prévoir que, dans les décennies à venir, nous assisterons, malheureusement, à l'extinction de la culture des derniers chasseurs-cueilleurs ougandais.

Après tout, être Batwa ne leur a apporté que du malheur.

Voir l’originel en español, El ocaso de los batuas Pour en savoir plus Les Pygmées Batwa de la Région des Grands Lacs

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Les commentaires de nos lecteurs (2)

Bernard Farine 29.05.2021 Cela me rappelle malheureusement les textes dont on a déjà parlé sur l'ambiguïté de certaines actions du WWF vis à vis des populations autochtones. Bernard
Margaret Sweeney 04.07.2021 Of course, I always think of what you have told me about the Batwa when reading about them. What a sad situation in Uganda...