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Les monocultures menacent les projets d'eau communautaires au Salvador

El Salvador (IPS) 27.03.2019 Edgardo Ayala Traduit par: Jpic-jp.org

Pendant près de trois décennies, plusieurs communautés du sud-est du Salvador ont géré collectivement et efficacement l'eau qu'elles consomment, mais la production en monoculture et le changement climatique mettent leur eau en péril. « Ce sont les effets collatéraux du changement climatique, ainsi que de la déforestation et de la monoculture » (Patrocinio Dubón).

Dubón, président de l'Association de développement communautaire Lempa Abajo, est originaire de San Carlos Lempa, un village de la municipalité orientale de Tecoluca où sont situés les bureaux de l'association, qui administre un projet d'approvisionnement en eau mis en place il y a 25 ans.
Comme d'autres villages voisins, San Carlos Lempa porte le nom de la rivière Lempa, qui court à travers ce petit pays d'Amérique centrale sur plus de 440 km de avant de se jeter dans l'Océan Pacifique. C'est le fleuve le plus long du Salvador et il est vital pour la vie et l'activité agricole d'une partie considérable des communautés rurales locales.
Ces terres côtières, d’anciennes plantations de coton, ont été morcelées et distribuées à une partie des guérilléros démobilisés après la fin de la guerre civile 1980-1992. Parce que l'utilisation aveugle de produits agrochimiques dans le coton, et plus tard dans la canne à sucre avait pollué les aquifères, les habitants de San Marcos Lempa ont cherché une source plus propre, qu'ils ont trouvée dans un puits situé à 13 km plus au nord. Avec le soutien de l'aide internationale, ils ont mis en place le projet communautaire d'approvisionnement en eau, qui alimente maintenant 26 communautés voisines comprenant quelque 2 000 familles qui autrement auraient des difficultés à avoir accès à  l'eau courante. Selon les chiffres officiels, 95,5% des ménages urbains ont accès à l'eau courante, mais ce chiffre tombe à 76,5% dans les zones rurales.
Les bénéficiaires de ce projet paient 5,65 dollars par mois pour 15 mètres cubes, le volume nécessaire pour une famille de six personnes. Avec l'installation de compteurs d'eau dans chaque ménage, il est possible de vérifier si la consommation dépasse ce standard et, dans ce cas, le coût excédant est ajouté à la facture. Pour accéder à ce réseau communautaire, chaque famille devait payer 389 dollars pour l'installation et les autres coûts du système, mais elles étaient autorisées à payer le montant en six versements. Actuellement, environ 70% des résidents locaux sont raccordés au système et le reste est alimenté en eau par les voisins.
Cependant, la durabilité du projet est à présent menacée, car les impacts du changement climatique, de la déforestation et de la monoculture de la canne à sucre ont touché les réserves d’eaux du pays, et cette région ne fait pas exception, assure Dubón. Le niveau d'eau dans le puits qui alimente San Carlos Lempa, a-t-il noté, a baissé de près de trois mètres par rapport au niveau optimal d'il y a quelques années, ce qui a rendu nécessaire l'adoption de mesures de rationnement. « Nous  rationnons l’eau depuis deux ans, desservant les différentes communautés à tour de rôle. Une étude technique va bientôt commencer et nous allons la rationner encore plus », craint Dubón.
L’industrie du sucre, dont la canne à sucre constitue la matière première, est un secteur puissant qui influe sur l’économie et la politique de ce pays d’Amérique centrale peuplé de 7,3 millions d’habitants. La Sugar Association, qui représente l’industrie, est composée de six sucreries, dont la majorité est contrôlée par des familles influentes du secteur agroalimentaire salvadorien. Le secteur du sucre génère environ 48 000 emplois directs et 187 000 emplois indirects, et génère plus de 186,5 millions de dollars de revenus, selon les chiffres de l'industrie.
Toutefois, les groupes de défense de l'environnement ont constamment critiqué le secteur en raison de la pollution causée par l'expansion de la culture, qu'il s'agisse de l'utilisation aveugle de produits agrochimiques, d'une consommation excessive d'eau pour l'irrigation ou d'autres pratiques néfastes pour l'environnement. Celles-ci incluent la combustion de la canne à sucre pour enlever les feuilles extérieures autour des tiges avant la récolte, afin de faciliter et d'accélérer la tâche de coupe de la canne par les milliers de travailleurs. Mais les incendies polluent l'environnement. Cependant, le problème le plus préoccupant reste l’utilisation intensive d’eau pour l’irrigation des champs.
Dans un article de 2016, IPS s'était concentré sur les impacts de l'industrie de la canne à sucre sur le mode de vie des paysans et les écosystèmes locaux. À l'époque, l'industrie a minimisé les effets en affirmant n'avoir irrigué que le 15% des 116 000 hectares consacrés cette année-là à la canne à sucre.
Les problèmes rencontrés par le système d'eau de San Carlos Lempa ne font pas exception. Dans le village de San Fernando, également dans la municipalité de Tecoluca, l’approvisionnement en eau a été affecté par les mêmes problèmes. « Nous le rationnons pour en prendre soin », affirme Silvia Ramírez, administratrice de l'Office des eaux de Santa Mónica. Etant donné que les bénéficiaires gèrent également leur consommation au moyen de compteurs d'eau, les familles locales « ont appris à l'utiliser de manière rationnelle », déclare-t-elle.
Dans d'autres municipalités du pays, qui reçoivent l'eau de la Société d’approvisionnement gérée par l’État, les robinets sont souvent à sec, même dans les foyers raccordés au réseau principal de distribution. Les médias du Pays font régulièrement état de barrages routiers posés par les habitants en colère de quartiers urbains ou de municipalités rurales se plaignant du manque d'eau.

Les efforts de dialogue pour assurer l'eau aux communautés rurales contrastent avec les décisions que les législateurs salvadoriens sont en train de prendre sur un projet controversé, en particulier l'article qui  propose la création d'une Autorité Nationale de l'Eau (ANA). Les législateurs de la Commission de l'environnement et du changement climatique sont parvenus à un accord le 18 mars dernier selon lequel les secteurs industriel et agricole feraient partie du conseil d'administration de la nouvelle autorité pour l'eau.

L’accord a reçu le feu vert de huit des onze membres de la commission législative, mais n’a pas encore été discuté ni approuvé en séance plénière. Toutefois, il a le soutien de tous les partis politiques représentés dans la commission, à l'exception du Front de libération nationale Farabundo Martí au pouvoir, qui termine son mandat ce mois de juin. Cela signifie que, si le projet de loi fait l'objet d'un débat, il existe déjà un accord préliminaire pour que ces secteurs influents, ayant des intérêts étrangers à ceux de la population en général, participent aux services de l'eau et contrôlent les décisions prises en matière d'approvisionnement en eau.

Un mouvement social a commencé avec des marches de protestation au cours de la semaine de la Journée Internationale de l'Eau, célébrée le vendredi 22 mars ; il fait valoir que seuls les organismes publics devraient participer à l'administration des eaux. « Si nous incluons ces secteurs privés, qui ne sont intéressés qu’au profit, ce serait comme mettre le renard  pour protéger le poulailler », déclare le militant Marielos de León.

L’ANA comprendrait le Ministère de l’environnement et des ressources naturelles, le Ministère de l’agriculture et de l’élevage, les administrations municipales, les régies des eaux usées et l’Université  du Salvador, ainsi que les deux secteurs privés mentionnés.

Photo : Silvia Ramírez montre comment le niveau de l’eau a baissé dans les petites rivières autour du village de San Fernando. © Edgardo Ayala.

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