La différence fondamentale entre le péché et le crime est que le premier est un concept moral-religieux, le second un concept politico-légal. Le pécheur doit rendre des comptes à son Dieu. Le délinquant, quant à lui, doit rendre des comptes à la loi et au juge et, dans un sens plus large, à la communauté lésée par son crime. Luigi Sturzo est né le 26 novembre 1871 en Sicile et mort à Rome en 1959. Il était prêtre catholique et homme politique, grande figure du parti populaire.
Un crime est un comportement humain volontaire qui prend la forme d'une action interdite par le système juridique d'un État, à laquelle est attachée une sanction. Pour qu'un comportement soit considéré comme un crime, il ne suffit pas qu'il soit contraire à la loi. Plusieurs circonstances doivent être réunies : le caractère volontaire du comportement ; l'existence de l'élément psychologique, la faute intentionnelle ou la culpabilité ; le lien de causalité entre le comportement actif et la survenance du fait dommageable ; l'inexistence de conditions qui rendraient licite un comportement formellement illicite (par exemple, la légitime défense).
Le péché appartient à la sphère religieuse. Le Catéchisme de l'Église Catholique dit : « Le péché est un manquement à la raison, à la vérité, à la conscience droite ; c'est une transgression dans l'ordre du véritable amour, envers Dieu et le prochain, à cause d'un attachement pervers à certains biens. Elle blesse la nature humaine et attaque la solidarité humaine. C'est une offense à Dieu ».
Trois conditions sont nécessaires pour qu'il y ait péché : une matière grave, une pleine conscience de l'intelligence, un consentement délibéré de la volonté libre de tout conditionnement. La moralité est un désir et une tension continue vers le bien qui ne se scandalise pas de sa propre fragilité et de celle des autres parce qu'elle naît de la gratitude pour l'expérience de l'amour gratuit.
La mission de l'Église n'est pas celle d'une agence humanitaire distribuant des permis de moralité, mais celle de dénoncer prophétiquement le mal et d'être évangéliquement miséricordieuse envers les pécheurs auxquels elle demande continuellement la conversion du cœur et du comportement. A cet égard, l'attitude de Jésus est emblématique : aux pharisiens qui lui avaient amené une femme adultère, il dit « que celui qui n'a pas péché lui jette la première pierre » et à la femme il dit « va et désormais ne pèche plus ».
L'Église demande aux personnes engagées dans la politique que leurs actions soient au service de la promotion intégrale de la personne et du bien commun, en dépassant le dualisme entre la foi et la vie. Il s'agit de vivre en accord avec sa conscience éclairée par la foi, ce qui conduit à concevoir l'engagement politique comme un acte d'amour gratuit au service de la communauté.
Parler du crime et du péché dans la pratique politique présuppose de parler de la relation entre légalité et moralité, entre droit et justice. Le respect de la loi est appelé à ne pas être un simple acte formel mais une action personnelle qui trouve son horizon dans la vertu de la justice. On respecte la loi, on observe la légalité non pas par peur de la sanction mais par soif de justice et de réalisation du bien commun. Le fait que la question morale soit placée au centre de l'attention en politique est une bonne chose dans la mesure où cela remet en question la séparation préjudiciable de l'éthique et de la politique, maintenue par ceux qui théorisent que toutes les expériences de la vie humaine (politique, science, économie, droit) sont complètement autonomes de la moralité.
Dans la conception chrétienne de la vie, le bien et le juste sont des dimensions inaliénables de l'action, par lesquelles la vie est soumise à des critères moraux. La moralité des hommes politiques est une donnée essentielle pour redonner une valeur idéale à l'engagement politique et le transformer en véritable « charité politique ».
Il faut toutefois se demander si la « question morale » soulevée par des Catons improvisés n'est pas une arme pour détruire ou délégitimer ses adversaires politiques, et si les intérêts économiques et l'exploitation électorale ne sont pas hypocritement dissimulés derrière des campagnes moralisatrices. L'hypocrisie, rappelle Chesterton, est l'hommage que le vice rend à la vertu. La moralité ne peut être morcelée. Le pharisaïsme moraliste peut s'appuyer sur la parcellisation de principes moraux pour déclarer bon que ce que l'on peut montrer savoir observer et mauvais ce que font les autres, filtrant les moucherons et avalant les chameaux comme le dit Jésus dans l'Évangile.
Le moralisme peut dégénérer en pharisaïsme dans la mesure où c'est la personne qui établit le critère du bien et du mal par lequel elle s'absout généralement et condamne les autres, oublie l'admonition évangélique d'enlever d'abord la poutre de ses propres yeux avant de prétendre enlever la paille de ceux des autres. C'est l'attitude de ceux qui pensent avoir les mains propres, mais ne réalisent pas que leur cœur est sale.
Don Luigi Sturzo, qui s'est personnellement engagé dans la politique en tant que conseiller municipal et provincial, pro-maire pendant 15 ans et secrétaire du PPI, a déclaré que la politique est un art que seuls quelques artistes sont capables de pratiquer, tandis que d'autres se contentent d'en être des artisans et que beaucoup en sont réduits à être des commerçants de la politique. Il n'a pas manqué de donner aussi quelques suggestions d'ordre pratique à ceux qui veulent apprendre l'art et éviter d’être des commerçants en politiques.
Parmi les vertus des hommes politiques, il cite la franchise, la sincérité, la fermeté pour savoir dire non, l'humilité d'où découle le sens des limites, le non-attachement à l'argent et à la gloire, la compétence, la planification politique. Sturzo affirme l'absolutisme des valeurs morales mais insiste également sur l’impolitique de l'immoralité politique. Pour lui, l'économie et la politique, sans moralité, sont toujours antiéconomiques et impolitiques.
Don Luigi Sturzo ne s'est pas arrêté à des dénonciations génériques et abstraites, mais est intervenu souvent et ponctuellement dans certains nœuds cruciaux de l'histoire de son pays avec des analyses impitoyables qui ne manquent pas d'actualité. Voici ce qu'il écrivait en 1958, à l'âge de quatre-vingt-sept ans, à propos de la moralisation de la vie publique : « Un mot : ‘moraliser la vie publique’ ! Où et quand la politique a-t-elle été maintenue dans la ligne de la moralité ? Pas hier, pas aujourd'hui, pas par nous, pas par nos voisins, pas par des pays lointains. C'est pourtant l'aspiration populaire : justice, honnêteté, mains propres, équité. Quelle est la conception de l'État de droit si ce n'est celle d'un État où le droit se substitue à l'arbitraire, où le respect de la loi supprime les abus, où les malversations et les abus ne restent pas impunis ?
L'État n'immunise pas le mal et ne le transforme pas en bien ; il fait subir aux citoyens les effets néfastes des actions malhonnêtes de ses administrateurs, dirigeants et fonctionnaires, tandis qu'il produit des effets bénéfiques par une politique sage et une administration honnête. Si l'idée a pénétré l'esprit des citoyens qu'un pot-de-vin ou un pourcentage pour un intermédiaire avisé est nécessaire pour qu'une affaire soit conclue, il faut en conclure que les histoires qui circulent de bouche en bouche ne sont pas toutes inventées. Et de conclure : « La propreté ! La propreté morale, politique et administrative, ce n'est qu'ainsi que les partis pourront se présenter dignement à l'électorat pour obtenir des voix ; jamais en faisant des faveurs à des catégories et à des groupes ; jamais par des promesses personnelles de postes et de promotions ; mais uniquement au nom des intérêts de la communauté nationale, de la Patrie enfin, car la moralisation de la vie publique est le meilleur service que l'on puisse rendre à la Patrie » (janvier 1958).
La corruption et le clientélisme sont des phénomènes qui ont toujours existé, qui s'accentuent surtout dans les moments de grave décadence civile et dans les phases de changement social et culturel, mais depuis quelques décennies en Italie, comme dans d'autres pays (Voir dans les institutions européennes dernièrement) ils ont pris des proportions quantitatives et des caractéristiques qualitatives sans précédent. Le réseau de favoritisme et de corruption s'est étendu de la sphère de la vie publique à celle du travail, de la profession, du commerce, et a même touché la vie privée et les relations interpersonnelles.
Ce qui doit être impressionnant et alarmant, c'est l'état généralisé d'acquiescement et de résignation passive face à des phénomènes moralement graves. D'un côté, les gens sont scandalisés par les manifestations de corruption de la classe politique, mais de l'autre, ils contribuent à les alimenter en recourant systématiquement au clientélisme lorsqu'il s'agit de faire valoir leurs propres intérêts, même au détriment de ceux des autres.
Il y a un manque d'anticorps contre les comportements illégaux. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de personnes qui ne connaissent plus aucun sentiment de culpabilité et qui prêchent que « la transgression est bonne », pour découvrir plus tard qu'elle est aussi épuisante.
Pour les positions les plus extrêmes du relativisme éthique, il n'existe aucune distinction entre le bien et le mal. Les conséquences ultimes de cette position qui mène au nihilisme sont exprimées par Camus : « Si rien n'est cru, si rien n'a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, tout est possible et rien ne compte. Il n'y a ni pour ni contre, et le meurtrier n'a ni raison ni tort. On peut allumer les fours crématoires, tout comme on peut se consacrer à la guérison des lépreux. La malice ou la vertu sont des affaires de caprice » (L'homme révolté).
Le philosophe Thomas Hobbes a écrit : « Avant les pactes et les lois, il n'y avait ni justice ni injustice ; et la nature du bien et du mal n'y était pas plus commune chez les hommes que chez les bêtes » (De Homine). Et encore « Les règles du bien et du mal, du juste et de l'injuste, sont des lois vivantes ; et donc ce que le législateur prescrit doit être considéré comme bien ; ce qu'il interdit doit être considéré comme mal » (Léviathan).
En 1764, dans son ouvrage « Des crimes et des châtiments », le juriste et philosophe milanais Cesare Beccaria introduit la distinction entre péché et crime. Déjà Thomas Hobbes, un siècle plus tôt, avait déclaré que « si les crimes sont des péchés, tous les péchés ne sont pas des crimes ».
Le crime consiste en un dommage causé à l'ensemble de la communauté, de sorte que la personne responsable d'un tel acte mérite d'être jugée par la société selon les voies et les formes établies par celle-ci. Le péché a une relation directe avec Dieu, de sorte que son auteur mérite (du moins pour ceux qui sont croyants) d'être jugé (puni ou gracié) uniquement par Dieu et ses représentants.
L'ordre juridique ne coïncide pas purement et simplement avec l'ordre moral. Le domaine du droit ne couvre pas l'ensemble du domaine de la moralité. L'ordre juridique concerne principalement l'aspect objectif, matériel. L'ordre moral considère avant tout l'intention et la finalité de ceux qui agissent sans négliger l'acte extérieur.
NB. Cela n’implique pas que toutes les lois soient justes, mais qu’une loi injuste doit être rectifiée par les organes que la société s’est donnés. Mais, quoi alors si ce sont justement ces organes qui sont corrompu ?
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