Ce qui se passe à la frontière polono-biélorusse et en Méditerranée, ce qui s'est passé avec les enfants à la frontière américaine, et la liste pourrait être longue, démontre clairement que les politiques migratoires sont conçues dans l'intérêt des pays riches et résultent de prises de positions davantage politiques qu’humanitaires. Toutefois…
Quand on dit qu'on fait trop peu pour les immigrés, on parle toujours des gouvernements et des peuples des pays d'arrivée, en même temps les immigrés deviennent de plus en plus « otages » de la géopolitique. On se demande alors, si nous sommes vraiment honnêtes avec ces gens ? Ce qui est dit et fait « pour eux » et « en leur nom » est-ce vraiment pour leur bien, celui de leurs familles et de leurs pays ?
Anna Spenna –le 9 novembre 2021 sur le site Internet de VITA- écrit : « Les refus exercés par la Pologne sont à tous égards illégitimes. La Biélorussie exploite certes les gens et les traite comme des armes de chantage, mais le fait qu'ils aient été poussés vers l'Union Européenne n'autorise pas la Pologne à bloquer leur entrée » (Diritto d’asilo, la Polonia fuorilegge). Alors, si j’entends bien, un intrus vient ou je l'invite chez moi et puis je lui dis : 'va chez mon voisin, en effet je te donnerai la clé de sa maison car cela me donne l'occasion de le harceler' un peu. Mon voisin doit l'accueillir et ne peut pas dire : « Je ne sais pas comment vous êtes arrivé là, restez-y ou rentrez chez vous » ? Ne joue-t-on pas avec ces gens sous prétexte qu'on les appelle « immigrés » et que nous, les gentils, devons les aider ?
En décembre 1990, onze ans avant que les attentats des Twin Towers ne remettent au premier plan le « problème de l'intégration », l'archevêque de Milan de l'époque, Carlo Maria Martini, prononçait pour sa ville un discours sur l'islam. Ses propos, étranges peut-être parce qu'éloignés de certains clichés, sont utiles pour repenser le phénomène migratoire dans la vérité et dans le respect des personnes.
« Je voudrais rappeler ici – dit-il - un point qui m'a semblé peu attendu jusqu'à présent. Et c'est la nécessité d'insister sur un processus d'« intégration », qui est très différent d'un simple accueil et d'une sorte d'hébergement. L'intégration passe par l'éducation des nouveaux arrivants à s'intégrer harmonieusement dans le tissu de la nation d'accueil, à en connaître les lois et les usages fondamentaux, à ne pas exiger des traitements privilégiés d'un point de vue législatif qui tendraient en réalité à les ghettoïser et à en faire de potentiels foyers de tensions et de violences ».
Le respect mutuel oblige donc l'émigrant à accepter une réalité inconnue à son arrivée. Est-ce possible s’il n’est pas informé de ce qui l’attend avant de partir ? Bien sûr, ceci ne concerne pas ceux qui fuient la guerre, mais les autres ?
« Ne savent-ils pas qu’en prenant la mer sur certains bateaux ils risquent leur vie ? » « Non, ils ne le savent pas vraiment ». Les drames quotidiens des ferries qui, dans les pays pauvres, coulent, entraînant la mort de femmes et d'enfants dans les fleuves ou dans des bras de mer, nous le rappellent. Et comment refuser d'être la marchandise des politiques hégémoniques si au final le jeu d'aller dans le pays d'autrui pour s'introduire chez son voisin sans aucun respect pour la loi est un succès ?
La souffrance d'autrui ne peut être ignorée, mais la solidarité exige de l'honnêteté et un critère sain dès le départ. L'urgence, a insisté Martini, fermait les yeux sur ce grave problème et il ajouta à titre d’exemple : « Il faut faire comprendre aux immigrés qu'ils viennent de pays où les normes civiles sont régies par la religion seule et où la religion et l'État forment une unité indissoluble, que dans notre pays, les relations entre l'État et les organisations religieuses sont profondément différentes ». Les minorités religieuses « ont parmi nous les libertés et les droits auxquels tous les citoyens ont droit », mais elles ne peuvent pas faire appel, par exemple, « aux principes de la loi islamique (charia) pour exiger des espaces juridiques ou des prérogatives spécifiques ».
Un exemple qui met en jeu tout l'espace social. Et il a fait une proposition concrète : « Elaborer une voie d'intégration multiraciale, qui tienne compte de l'intégrabilité réelle des différentes ethnies. Afin d'avoir une société intégrée, il est nécessaire d'assurer l'acceptation et la possibilité d'assimilation d'au moins un noyau minimum de valeurs qui forment la base d'une culture », et il citait la déclaration des droits de l'homme et de l'égalité de tous devant la loi.
Cela implique que la disponibilité à cette intégration de la part de qui arrive est incontournable.
N'est-il pas illusoire et inhumain de l'exiger de ceux qui arrivent après des mois de souffrance, d'abus, d'injustice et de gaspillage d'énergie économique et physique vécus en marge de toute légalité ? Comment peut-on l'attendre de ceux qui, consciemment ou inconsciemment, acceptent d'entrer dans le jeu d'une géopolitique illégale pour parvenir à une fin, même légitime, mais toujours personnelle ? A force de vouloir considérer les immigrés comme des personnes, n’oublie-t-on pas comment nous sommes les personnes ?
Des êtres d’habitudes, souvent inconscientes et égoïstes qui, une fois assimilées, nous empêchent de repenser nos comportements. Des mois de souffrance, d'itinérance sans patrie, aident-ils les personnes à s'intégrer dans une culture qu'elles ne connaissent pas, avec une langue qu'elles ne comprennent pas, dans un système socio-économique étranger à leur vécu ? Le jeu du départ « hors la loi » ne les aide certainement pas à accepter des lois inconnues.
Martini citait la Règle de saint François d'Assise qui parle des « frères qui vont parmi les Sarrasins » et explique comment ils doivent le faire. Saint François suggérait sagement que l'expatrié, comme tout immigrant, avant d'entreprendre son voyage se demande s'il est vraiment prêt à quitter le monde qui est le sien pour accepter celui où il va arriver (Dall’intervento del Cardinal Matini Basilique de Saint Ambroise, 1990, Milan).
Ce serait le début d'un lent processus d'intégration que l'immigration régulière doit assurer- ce qu'elle ne fait malheureusement pas aujourd'hui - à l'aide de délais d'attente et de documents. Est-il légitime d'attendre cela de l'immigration irrégulière ? Celle-ci ne donnera jamais les fruits qu'attendent ceux qui arrivent et ceux qui accueillent, le pays d'origine et le pays d'accueil. L'espérer ou l'attendre, c'est de personnes pleines d’illusions, qui se leurrent ou veulent leurrer, même avec les meilleures intentions qui souvent n'existent pas.
Les réfugiés de guerre devraient ôter le sommeil des gouvernements qui jettent la pierre et cachent la main. Chacun a le droit de chercher le meilleur pour soi et sa famille. Mais ceux qui parviennent à échapper au sort économique souvent cruel d'un pays où les classes aisées locales coopèrent avec des entreprises étrangères pour exploiter le sol et le sous-sol, ne sont pas les plus faibles, mais les personnes les plus solides physiquement, psychologiquement, économiquement et professionnellement. N’est-il pas vrai que ces immigrés apportent une richesse de main d'œuvre et de professionnalisme dans les pays d'accueil ? Mais ils le font au prix d’enlever cette richesse à leurs pays pauvres : c'est une nouvelle forme de colonisation, une saignée comparable seulement à l'esclavage.
Les envois de fonds aident plusieurs familles dans le besoin, mais pour la plupart, ils ne font que créer des générations dépendantes de l'aide étrangère qui perpétuent la pauvreté dans leurs pays. Karl Marx dirait que l'émigration irrégulière est autorisée, lorsqu'elle n'est pas désirée, par des gouvernements corrompus et dictatoriaux parce qu'elle les libère d'une armée d'insatisfaits qui pourrait se transformer en une force révolutionnaire.
Nous sommes tous le fruit d'invasions violentes dites « barbares ». Le labeur des siècles a donné naissance à des civilisations grâce à une intégration imposée par les nécessités de la coexistence. La violence des mariages forcés, les mutilations féminines, la maltraitance des jeunes et surtout des filles qui veulent s'intégrer, le rejet des règles préventives contre le Covid19, les évasions des centres d'accueil, les violences contre les travailleurs sociaux, ne sont pas des phénomènes déplorables, mais les symptômes que l’actuelle voie du phénomène migratoire est erronée et ne produit que de la violence.
L'intégration est quelque chose de tout à fait différent, déclarait Martini. Sa conclusion pourrait être, ayons le courage de reprendre le discours plus en amont, dans les pays de départ et avant les départs. Ou alors acceptons, comme cela s'est produit pour tout phénomène migratoire majeur - voir l'expérience de tant d'italiens et irlandais aux États-Unis - de ne retrouver la paix sociale qu’après des siècles de souffrance et de violence.
Voir Integrazione e Annuncio del Vangelo Integrazione e Annuncio del Vangelo et aussi The Poland-Belarus Border Crisis Is a Harbinger of the Future et aussi Immigration, un débat biaisé
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