Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Droit à un lieu sûr

Mundo Negro 22.12.2022 Carla Fibla García-Sala Traduit par: Jpic-jp.org

Le réseau d’associations « Synergie des Femmes pour la Paix et la Réconciliation » (SPR) dénonce et agit contre la violence dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Nous parcourons du sud au nord les régions des Kivu, à l'est de la RDC, pour découvrir le travail du réseau SPR contre la violence intrinsèque subie par les femmes de la région. SPR recevra le Prix MUNDO NEGRO de la Fraternité 2022 ce mois de février 2023.

Les femmes congolaises ont découvert depuis longtemps le pouvoir de l'écoute et de l'organisation collective pour combattre l'injustice. Mais la mise en œuvre du projet « Femme au Phone » (FAF) entre 2013 et 2015 leur a permis d'accélérer le changement. Cette initiative a impliqué des organisations européennes -Fondation Medio, Cordaid, WorldCom Foundation, Sundjata Foundation et Lola Mora Productions- et congolaises -Association des Femmes des Médias du Sud Kivu (AFEM-SK), Synergie des Femmes pour la Paix et la Réconciliation (SPR)- et Radio Maendeleo.

Un téléphone portable sans accès à Internet - pour appeler et envoyer des SMS -, un logiciel de stockage d'informations et un programme hebdomadaire sur les radios communautaires, telle est la recette du projet avec lequel FAF a réussi à amener les femmes qui ont subi ou ont été témoins de violences à partager leurs expériences. À la fin du projet, les associations qui avaient reçu une formation par FAF avaient créé ou amélioré la sensibilisation à leurs droits. Mais elles avaient également défini les types de violence qu'elles subissaient dans leur environnement quotidien. La prise de conscience et la connaissance sont, depuis lors, leurs meilleures armes. Vivre à côté d'une frontière n'est pas la même chose que vivre dans une mine ou dans un champ de thé isolé.

De Bukavu à Goma, les capitales du Sud et du Nord-Kivu, toutes deux frontalières du Rwanda, il y a moins de 200 kilomètres, mais l'état des routes fait que le trajet dure plus de sept heures. Il est difficile d'assimiler que dans un paysage aussi beau et riche que celui-ci, la violence à l'égard des femmes et des filles soit si extrême. Les difficultés et les solutions qu'elles mettent en œuvre sont partagées avec la plus grande sincérité, sans honte ni crainte du qu'en-dira-t-on. Les femmes avec lesquelles MUNDO NEGRO a parlé sont convaincues que le silence rend leur douleur invisible.

En RDC, 35,6 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont déclaré avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire au cours d’une année selon une enquête ONU-Femmes réalisée en 2018. Dans l'est du pays, le chiffre atteint 75 % selon Médecins Sans Frontières. En outre, près de 70 % des femmes congolaises de plus de 15 ans vivent en dessous du seuil international de pauvreté.

Mugogo : plaidoyer en milieu rural

C'était un jour de pluie. Après avoir longé l'avenue principale de Bukavu, nous récupérons l'équipe du réseau SPR, qui a préparé la rencontre avec les femmes de Mugogo, à 25 kilomètres à l'ouest de Bukavu.

C'est dimanche, un jour de repos pour rester avec la famille et aller à l'église. L'agitation des camionnettes, des motos et des gens est un peu plus détendue que les jours de travail. Alors qu’elle termine la prière à l'église protestante que fréquente Faraja Zawadi, porte-parole du groupe de défense de la communauté de Mugogo, nous traversons des champs de thé remplis d'enfants. « Il nous a fallu trois mois pour y parvenir, mais grâce à l'accompagnement de SPR, notre groupe de pression a réussi à construire des latrines publiques sur le marché central, qui attire plus de 3 000 personnes chaques mercredi et samedi », explique Zawadi.

La formation reçue par les femmes leur permet de se protéger. « Nous maintenons le mécanisme du FAF, mais avant qu'une femme ne signale des violences, nous nous informons entre nous. Nous ne rendons pas l'affaire publique ou ne nous adressons pas à la police avant d'en avoir discuté et d'avoir épuisé les canaux de communication communautaires. Lorsque l'agression est connue, la femme est exposée et c'est dangereux ». À ses côtés, Naweza Almerance, responsable politique dans une ville voisine, estime « qu’il n'y a pas assez de femmes dans les fonctions politiques pour faire prendre conscience aux gens des multiples violations qu'elles subissent au quotidien ». La participation du public est essentielle. Almerance reconnaît qu'elles trouvent des solutions aux problèmes de la communauté avec les hommes, comme la construction de routes pour leur permettre d'atteindre l'hôpital. Elles ont rompu leur silence et ont désormais leur mot à dire sur la manière d'assurer la sécurité et le développement de leur environnement.

Elody Buhendwa souligne les contraintes résultant de leur précarité économique, et met en avant le travail de l'Association des Villages d'Argent et de Crédit, qui concerne plus de 11 000 personnes. Les femmes disposent d'un fonds de solidarité qui leur permet de lancer de petites entreprises ou de couvrir les dépenses familiales. « La formation SPR nous a fait sortir de l'ignorance ; le travail que font les hommes peut aussi être fait par les femmes », ajoute Furaha Muderhwa.

Certaines femmes de Mugogo soulignent que l'alphabétisation a été le début du changement. « Maintenant, les femmes peuvent lire les avis, elles décident elles-mêmes, elles vont aux réunions, elles protestent, elles défendent leurs biens, elles réclament leur héritage. Avant, nous envoyions nos enfants à l'école, mais le réseau SPR nous a montré que le changement partait de nous », affirme Brigitte Miburhunduli. Chez les femmes plus jeunes, comme Gentille Biribinta Cubaka, on insiste sur les avantages du planning familial, en pensant à l'enfant qui va naître, à ce dont il aura besoin, et sur le fait « qu’il y ait un dialogue avec le mari, parce que c'est une responsabilité commune ».

Cependant, Jeanine Liala affirme que le renforcement des capacités est encore insuffisant, que toute la région n'est pas atteinte et qu'elles manquent d’un lieu de rencontre. La porte-parole, Faraja Zawadi, écrit une équation sur le tableau noir de la salle de classe que la paroisse catholique a mise à disposition pour cette réunion. Au tableau, elle calcule le niveau de risque des communautés : Risques = (dangers × vulnérabilité) / capacités.

Minova : viols

Joyeuse Bihemu et Furaha Fataki ont respectivement 15 et 16 ans. La première est la mère d'un fils de 11 mois, et la seconde d'un fils de 7 mois. « Je travaillais dans les champs à Bulanga. Un homme est venu et m'a violée. Quand j'ai découvert que j'étais enceinte, j'ai pensé que j'étais trop jeune pour avoir un enfant. Maintenant, ma responsabilité est de me marier pour pouvoir m'occuper de lui », dit Joyeuse. Dans le cas de Furaha, tout s'est passé au marché, lorsqu'un homme connu de la famille l'a invitée dans une maison et l'a violée. « Je ne l'ai pas dit à mes parents parce que j'avais honte, mais ma mère m'a emmenée dans un centre de santé pour savoir ce qui n'allait pas. Le docteur le lui a dit. La police a enquêté, mais les policiers ne l'ont pas trouvé ». Furaha estime que sa vie « est en danger » et qu'elle doit trouver les moyens de s'occuper de son fils.

Malgré leur jeunesse, les deux femmes rappellent avec détermination qu'il appartient aux autorités et à la justice de protéger les femmes et les filles. « Ils doivent renforcer la sécurité la nuit, quand nous rentrons du travail, et arrêter les violeurs », dit la première. Inquiète que son violeur lui ait transmis une maladie, elle a découvert presque par hasard qu'elle était enceinte.

Entre le 20 et le 30 novembre 2012, selon un rapport de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation de la RDC, « 135 cas de viols et de graves violations des droits de l'homme, y compris des massacres et des pillages par les militaires » avaient été enregistrés. Trente-neuf membres des Forces Armées Congolaises (FARDC) ont été jugés pour les cas enregistrés à Minova.

Les militaires s'étaient repliés dans la ville face à l'avancée sur Goma des rebelles du Mouvement M23. 190 femmes ont dénoncé avoir été violées et ont témoigné devant un tribunal militaire. Le procès, qui a été suivi de près par la société congolaise, a montré la nécessité de dénoncer et de juger les affaires, même si dans ce cas, pratiquement tous les accusés ont été acquittés. Sur les 39 militaires impliqués, seuls un lieutenant-colonel, reconnu coupable de viol, un sous-officier  accusé de viol et de meurtre, ont été condamnés à la prison à vie, et un caporal, à 10 ans de prison. Vingt-deux autres sous-officiers ont été acquittés des accusations de viol, mais condamnés à des peines de 10 à 20 ans d'emprisonnement pour « violation des instructions, pillage et dissipation de munitions ».

En haut de la colline du centre de Minova se trouve l'antenne de Radio Bubandano, une station de radio communautaire que, pendant le projet FAF, a diffusé des programmes hebdomadaires sur les situations de violence signalées par les femmes à travers des SMS. Son directeur, Ezéchiel Batumike, explique que cela a permis d'établir un canal de communication avec les auditrices, qui ont continué à partager la violence et les difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien. Radio Bubandano émet en swahili, en français et dans la langue locale. « Nous sommes des civils puissants parce que nous avons un micro. Nous sommes une radio communautaire qui donne de vraies informations, nous parlons à toutes les parties. J'ai reçu des menaces de mort, mais je n'ai jamais cessé d'appliquer notre code d'éthique », explique M. Batumike, qui désigne la violence comme le principal facteur de sous-développement de la région.

La FAF a réalisé un rapport sur ce qui s'est passé à Minova en 2012. Dix ans plus tard, Justine Shamahemba, journaliste à Radio Bubandano, affirme que « la situation ne s'est guère améliorée car les viols ne sont pas signalés. La solution consiste à sensibiliser la population. Les programmes que nous réalisions à partir des SMS fonctionnaient ».

Kamanyola : la frontière

A 45 kilomètres au sud de Bukavu, le rapport des femmes sur l'insécurité se concentre sur la frontière. « Nous nous sentons fortes parce que nous avons été formées, nous détectons les mauvais traitements, nous nous sentons accompagnées, quand nous entendons parler d'un cas de viol, nous allons à l'hôpital et à la Police. Nous sommes en alerte », commence Angélique Furaha, pour qui « l’habitude d'une femme qui aide une autre femme est essentielle ». « On nous appelle ‘les femmes impossibles’ parce que nous persistons et que nous sommes déterminées à changer les choses », déclare Jeannette Chandazi Nabintu.

« Nous sommes des femmes transfrontalières avec des besoins de sécurité spécifiques. Nous traversons la frontière dans la peur, mais maintenant nous pouvons enregistrer notre passage à un bureau frontalier crée pour cela », dit Elisabeth Bitisho. A ses côtés, Jeannette Musole, 23 ans, qui a trois enfants issus de trois viols, explique que « les groupes armés comme le M23 ont apporté la violence. Auparavant, les relations avec les pays voisins étaient bonnes, mais aujourd'hui, même pour lancer une petite entreprise, ils exigent que nous ayons des relations sexuelles avec eux ».

Un mineur traditionnel a besoin d'au moins deux heures de travail pour obtenir un kilo de cassitérite, pour lequel il sera payé trois dollars à la mine, six s'il l'apporte au centre d'affaires de Nyabibwe, ou 13 s'il le vend à Bukavu. 75 % de la population de cette région minière vit des activités générées par les gisements, une chaîne dans laquelle les femmes occupent une place prépondérante.

Marie, Solange, Danielle, Nathalie et Françoise soulignent les graves carences en matière d'assistance psychosociale dont souffrent les femmes dans cette localité située à 100 kilomètres au nord de Bukavu. « La violence domestique et économique fait subir aux femmes des difficultés auxquelles les autorités locales ne remédient pas. Dans la mine, les conditions sont très dures, l'accès est difficile car il y a des frais à payer et la violence imposée par les groupes armés qui veulent les exploiter est une menace constante », explique Marie, qui parle du travail qu'elle tente de faire à partir de la formation qu'elle a reçue du SPR.

Les hommes restent pendant des semaines, parfois des mois, dans les mines, où les femmes s'occupent de tous leurs besoins. « Pour que les femmes puissent travailler dans les mines de cassitérite, elles sont obligées d'avoir des relations sexuelles avec les responsables. Et ils doivent souvent subvenir aux besoins de leurs enfants », ajoute Solange. Certaines de ces femmes, comme le souligne Danielle, en plus de s'occuper des mineurs, travaillent à l'extraction du minerai. « Dans les mines, elles ont trois options : travailler dans l’extraction, gérer un petit commerce ou errer mettant en vente leurs corps. Pour casser cette dynamique, il faut davantage de médiation et de sensibilisation », conclut François.

Kavumu : plaidoyer communautaire

Plusieurs collectifs de Bugorhe, un village de la région de Kavumu, connaissent un certain succès dans leurs initiatives de plaidoyer communautaire. En 2018, par exemple, ils ont enregistré une centaine de mariages civils en une seule cérémonie. Le but ? Que les femmes puissent être plus protégées.

Deux des autoproclamés « hommes FAF » et le groupe de femmes que nous avons rencontré énumèrent les menaces des groupes armés et la violence que les groupes d'alerte continuent d'enregistrer. La peur de dénoncer pour ne pas perdre l'emploi, les difficultés d'accès aux formations de la FAF ou l'impossibilité de suivre les initiatives du réseau SPR en raison de l'état des routes sont encore monnaie courante. Et puis il y a le « manque de moyens financiers » pour faire ce travail. Elles détectent les violences domestiques, physiques, psychologiques et économiques, les grossesses précoces et les mariages forcés. Et certains soulignent qu'en plus de la médiation et de l'écoute, un accompagnement juridique serait nécessaire.

Goma : violences multiples

Marie Claire, Pacifique et Maurice nous accueillent dans la capitale du Nord-Kivu. Elles organisent une rencontre avec des associations de femmes œuvrant pour la paix et le progrès, luttant contre la vulnérabilité et la discrimination.

Les nombreux conflits dans la ville relèguent la violence contre les femmes au second plan. « Nous nous concentrons sur l'éducation, les abus dans la relation professeur-élève et le manque de cohabitation entre les communautés », commence Pacifique. « Nous avons discuté de la loi de 2006 sur la violence, nous l'avons expliquée dans les églises pour que le changement qu'elle apporte soit compris », poursuit Jeannette, de l'association Orientation pour les femmes et les ménages vulnérables. « La paix, la réconciliation et la cohésion sociale sont la clé de ce que nous avons appris dans le réseau SPR, quelque chose que nous avons appliqué dans les moments difficiles, comme l'éruption du volcan en 2021 ».

Sur le chemin du retour vers Bukavu, nous nous arrêtons au camp de la paix organisé chaque année par SPR, qui rassemble des jeunes des pays situés autour des Grands Lacs. C'est un espace de débat, de partage sur la violence vécue par leurs communautés et de recherche de solutions basées sur la coexistence.

L'âge moyen des femmes que nous avons rencontrées est d'environ 40 ans ; elles agissent dans le but d'exercer leurs droits. À Kavumu, nous avons observé que le réseau SPR prête également attention à la théorie, en rappelant qu'il existe des lois et des traités internationaux qui les protègent et que leur mise en pratique dépend de l'action individuelle ainsi que de l’action collective.

Voir, Derecho a un lugar seguro

Photo. Joyeuse Bihemu et Furaha Fataki avec leurs petits dans les bras en Minova. © Carla Fibla García-Sala

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