Lettre ouverte au Président des États-Unis Donald J. Trump, au sujet de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda négocié par les États-Unis et l’État du Qatar. Le Dr Theogene Rudasingwa est un Tutsi, ancien chef de cabinet du président rwandais Paul Kagame, ancien ambassadeur du Rwanda aux États-Unis, exilé après avoir été condamné par Kagame pour avoir quitté le gouvernement rwandais, défenseur de la paix et témoin des tragédies de la région, récemment fondateur de l’Eastern Africa Meta-University (EAMU).
Monsieur le Président Trump,
Je vous écris pour remercier votre administration ainsi que l’État du Qatar pour avoir négocié ce que vous avez à juste titre qualifié de « l’un des accords de paix les plus importants au monde aujourd’hui » : l’accord signé à Washington entre la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Rwanda. Votre engagement personnel, votre instinct stratégique et votre volonté d’agir là où d’autres ont échoué sont louables. Pour une région hantée par des décennies de violence et de trahison, même l’esquisse d’une paix représente un souffle d’espoir.
En tant que témoin de morts et de destructions indicibles, ayant vécu en exil une grande partie de ma vie et étudié pendant des décennies la politique du Rwanda et de la région des Grands Lacs — notamment en tant que haut fonctionnaire dans le Rwanda de l’après-génocide — je me sens obligé de parler avec franchise : tel qu’il est, cet accord de paix est vulnérable à l’exploitation par des acteurs malveillants. Sans garanties solides, il risque de n’être qu’une page de plus dans le long livre des promesses trahies qui définissent cette région depuis les années 1990.
L’avertissement le plus évident vient du passé du Rwanda. En 1993, le général Paul Kagame a signé les Accords de paix d’Arusha. Quelques mois plus tard, cet accord fragile a été rompu avec l’assassinat du président Juvénal Habyarimana — signataire de l’accord — dans un attentat aérien [provoqué par Kagame, ndr], déclenchant le terrible génocide de 1994. Depuis lors, le Rwanda a à plusieurs reprises promis de retirer ses troupes du territoire congolais, pour revenir sous différentes formes : le RCD en 1998, le CNDP en 2004, le M23 en 2012, et à nouveau aujourd’hui.
Aujourd’hui, sous le commandement du général Kagame, le Rwanda s’est transformé en un État sécuritaire et militaire, avec un historique d’opérations secrètes, de guerres par procuration et d’ambitions de déstabilisation régionale. Il est passé maître dans l’art des manœuvres cachées, disant une chose à la communauté internationale et en faisant une autre sur le terrain. Tout accord avec une telle partie ne peut reposer sur la confiance mais sur des actes vérifiables et des mécanismes de dissuasion applicables.
Tout aussi préoccupante est la faiblesse structurelle de l’État congolais. Le président Tshisekedi dirige une nation immense sur le plan géographique mais fragmentée sur le plan de la gouvernance. L’armée congolaise (FARDC) est sous-financée, infiltrée par des réseaux informels et affaiblie par un dysfonctionnement de la chaîne de commandement. Des groupes armés circulent librement dans les provinces de l’Est, et même les réformes les plus sincères prennent des années à se concrétiser. Dans cette asymétrie, le général Kagame conserve un avantage stratégique et peut dicter le rythme et le terrain des hostilités.
Monsieur le Président, vous avez bâti votre carrière sur le principe que tout accord doit s’appuyer sur un rapport de force. Dans The Art of the Deal, vous avez affirmé que « le pouvoir de négociation, c’est de posséder quelque chose que l’autre veut. Ou mieux encore, dont il a besoin ». Le Rwanda, et toute la région, désirent la légitimité américaine, les investissements qataris et l’accès aux minerais stratégiques.
Mais si ces bénéfices sont accordés sans contrepartie réelle, la paix restera hors de portée. Comme toujours, le diable se cache dans les détails.
Actuellement, l’accord présente des failles que le général Kagame saura exploiter :
Le général Kagame sait profiter de ces failles. Il fera des gestes symboliques — peut-être le retrait d’une ou deux brigades devant les caméras — tout en maintenant des conseillers en civil et des flux d’armes clandestins. Il accusera la lenteur de Kinshasa, l’instabilité régionale ou la menace des FDLR pour justifier une « ré-intervention temporaire ». Et le cycle reprendra.
Pour que cette paix devienne réalité, je vous exhorte à faire ce que d’autres ont hésité à faire : transformer les promesses en pression, et la pression en conformité. En m’inspirant des leçons de la diplomatie coercitive et de la négociation de principes, je propose respectueusement cinq actions pour garantir la survie de cet accord :
Monsieur le Président, ce que vous avez accompli est courageux et intelligent. Cette région a connu trop de cérémonies et trop peu de conséquences. Avec de l’application, de la transparence et des incitations bien calibrées, vous avez l’occasion non seulement de signer un accord, mais d’écrire l’histoire.
La paix dans les Grands Lacs ne viendra pas par de simples poignées de main. Elle devra être conquise par une pression constante, des mesures dissuasives visibles et une vérité rigoureuse. Comme vous l’avez dit lors de la signature, cette guerre aurait dû prendre fin depuis longtemps. Que ceci ne soit pas le début d’une nouvelle promesse rompue, mais le premier jour de quelque chose de durable.
Les peuples de la RDC — et même du Rwanda — vous regardent, blessés mais pleins d’espoir. Cette fois, que les mots écrits se traduisent par des vies sauvées, des foyers reconstruits et un avenir retrouvé.
Avec respect et détermination,
[Article original sur LinkedIn, https://www.linkedin.com/pulse/open-letter-us-president-donald-j-trump-drcrwanda-peace-rudasingwa-5kyve/?trackingId=PZrcwOwayOZtvNN0nLhKlw%3D%3D)]
Contact : ngombwa@gmail.com
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