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La croyance en la sorcellerie coûte la vie aux femmes âgées au Malawi

Inter Press Service 17.03.2023 Charles Mpaka Traduit par: Jpic-jp.org

Les agressions contre les personnes âgées se multiplient au Malawi, souvent sous prétexte de sorcellerie. Christian Mphande, qui a survécu, a pu raconter son histoire, mais on assiste à une augmentation inquiétante de la maltraitance des personnes âgées.

En décembre de l'année dernière, un clip vidéo est devenu viral, montrant deux femmes âgées, entourées d'une foule en délire et englouties dans un nuage de poussière, alors qu'elles remplissaient une tombe dans un village du district de Mzimba, dans le nord du Malawi. Alors que les deux sœurs âgées s'affairaient à cette tâche, traditionnellement dévolue aux hommes au Malawi, un membre de la foule a donné un coup de pied à l'une des deux femmes, Christian Mphande, et l'a jetée dans la fosse ouverte.

Quel était leur crime ?

Une jeune femme de leur famille était décédée et les habitants du village accusaient Mphande, 77 ans, d'avoir tué la jeune femme par sorcellerie. Pour la punir, Mphande a été forcée d'enterrer la morte, aidée par sa sœur. Elle a été agressée, tous ses biens, le bétail compris, ont été confisqués et elle a été bannie du village.

Il s'agit d'un nouvel incident dans la spirale du harcèlement des personnes âgées au Malawi.

Mphande a la chance d’être toujours en vie. Elle vit maintenant loin de chez elle, dans le district, probablement luttant pour toujours contre les cauchemars de son expérience et vivant avec une preuve physique, un trou dans ses gencives pour avoir perdu quelques dents lors de l'agression par la foule.

Mais plusieurs personnes âgées ont perdu la vie au Malawi aux mains de la foule. Cinq femmes âgées ont été tuées entre janvier et février 2023, selon le Malawi Network of Older Persons Organisations (MANEPO), une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme dans le pays.

En 2022, 15 femmes âgées ont été tuées et 88 harcelées pour diverses raisons, principalement sur la base d'accusations de sorcellerie, une augmentation par rapport aux 13 tuées et 58 harcelées en 2021. Le directeur national de MANEPO, Andrew Kavala, décrit les abus commis à l'encontre des femmes âgées comme un fléau qui frappe la nation.

« En tant que société, nous avons laissé tomber nos personnes âgées. Nous éprouvons une colère injustifiée à leur égard. Qu'elle que soit la frustration motivée ou due à l'échec de la survie, notre colère se déverse sur des personnes innocentes. C'est une tragédie », déplore Kavala dans une interview accordée à IPS.

L'un des principaux facteurs à l'origine de cette terreur est ce qu'il décrit comme « une croyance sans fondement dans la sorcellerie et la magie », que certaines personnes considèrent être à l'origine de leurs malheurs personnels.

La Loi coloniale sur la sorcellerie

Le Malawi applique encore la loi sur la sorcellerie, qui a vu le jour en 1911 sous le régime colonial britannique. Selon la commission juridique du Malawi, cette loi a été promulguée dans le but d'éradiquer ce que les colonialistes considéraient comme des pratiques dangereuses, telles que le jugement par ordalie, l'utilisation de charmes et la sorcellerie elle-même.

La loi part du principe que la sorcellerie n'existe pas. Dès lors, le fait d'alléguer que quelqu'un pratique la sorcellerie constitue un délit. Il est également interdit à quiconque de prétendre pratiquer la sorcellerie. En 2006, le gouvernement a mis en place une commission spéciale afin de réviser cette loi de 1911 sur la sorcellerie. Il s'agissait de répondre aux appels selon lesquels la loi était étrangère à la croyance commune en la sorcellerie parmi les Malawiens.

Dans un rapport, la commission juridique spéciale a, en effet, constaté une croyance commune et forte en l'existence de la sorcellerie. « Il y a de la sorcellerie ou, du moins, une croyance en la sorcellerie parmi les Malawiens », indique le rapport, qui conclut : « Il n'est pas correct d'affirmer qu'il n'y a pas de sorcellerie au Malawi pour la seule raison que la pratique est fondée sur une simple croyance ».

« Par conséquent, la commission conclut que l'existence de la sorcellerie ne devrait pas être considérée comme une chose douteuse mais comme une réalité », a déclaré le président de la commission, le juge Robert Chinangwa, lors de la présentation de son rapport en 2021.

Les organisations de défense des droits de l'homme ont rejeté les recommandations de la Commission pour une révision de la loi. Dans une déclaration commune, elles ont déclaré que, par définition, un sorcier ou une sorcière est une personne qui utilise secrètement des pouvoirs surnaturels à des fins malveillantes.

En supposant que la loi soit modifiée en vue de criminaliser la pratique de la sorcellerie, une question difficile se poserait, celle des preuves, ont-elles fait valoir.

« La bonne pratique juridique veut que pour qu'une personne soit condamnée pour un délit pénal, l'accusation doit avoir prouvé son bien-fondé au-delà de tout doute raisonnable. Or, la sorcellerie implique l'utilisation de pouvoirs surnaturels. Par conséquent, il serait très difficile de prouver les allégations devant un tribunal », ont-ils déclaré dans un communiqué commun.

La majorité croit à la sorcellerie

Aucune conclusion n'a donc été tirée. En effet, la lutte du Malawi contre les abus commis à l'encontre des personnes âgées sur la base d'accusations de sorcellerie se trouve prise entre une forte croyance en la sorcellerie, d'une part et, d'autre part, le fait qu'il n'y aurait aucune preuve de son existence devant un tribunal en cas d'un procès.

Selon Peter Kalaya, porte-parole de la police nationale, cette croyance en la sorcellerie compromet les efforts des services de police du Malawi pour lutter contre les abus commis à l'encontre des personnes âgées.

« Notre principal défi est que nous travaillons dur pour appliquer la loi contre la sorcellerie dans une société où la majorité croit en son existence. Il y a donc une grande résistance [à l'application de la loi] », explique Peter Kalaya.

La situation de la police est aggravée par le fait que, dans la plupart des cas, la violence sur les femmes âgées se produit dans des zones rurales éloignées des postes de police. Selon Kalaya, cela affecte négativement la réponse de la police pour secourir rapidement les victimes et arrêter les auteurs. Il explique également pourquoi la police évite parfois de se référer à la loi sur la sorcellerie. Car, « la plupart des abus auxquels les personnes âgées sont confrontées relèvent de la justice populaire : elles sont battues, tuées, leurs maisons et leurs biens sont brûlés et elles font l'objet d'insultes verbales », explique-t-il, et ces abus relèvent du droit commun.

Wycliffe Masoo, directeur des droits des personnes handicapées et des personnes âgées à la Commission des droits de l'homme du Malawi (MHRC), un organisme public, déclare que la croyance en la sorcellerie n'est pas en soi à blâmer ; c'est ce qui se produit à la suite de cette croyance qui est préoccupant.

« La question qui se pose est la suivante : si la sorcellerie existe, est-elle pratiquée uniquement par des personnes âgées ? », s'interroge Masoo. Selon lui, si la police a parfois fait preuve de rapidité dans l'enquête sur les suspects de maltraitance des personnes âgées et leur arrestation, les poursuites sont parfois trop longues, ce qui donne un avantage aux auteurs de ces abus.

Une législation déjà en place

Selon Masoo, que le Malawi s'en tienne à la loi sur la sorcellerie ou qu'il la révise et s'attaque au défi délicat de prouver la sorcellerie devant un tribunal, le pays dispose déjà d'une législation qui, si elle était correctement utilisée, permettrait de limiter les problèmes de justice populaire à l'encontre des personnes âgées.

Par exemple, la Constitution interdit la discrimination des personnes et garantit « une protection égale et efficace contre la discrimination », quel qu'en soit le motif. Elle garantit la dignité humaine en stipulant que « personne ne sera soumis à la torture sous n’importe quelle forme ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Ce dont le Malawi a besoin, selon la MHRC, Manepo et la police, c'est d'accélérer la promulgation de la loi sur les personnes âgées et d'investir dans une formidable campagne de sensibilisation coordonnée qui associe les chefs traditionnels, religieux et judiciaires pour que tous les Malawiens comprennent les droits des personnes âgées.

« Cela permettra de protéger sainement les femmes âgées », affirme M. Masoo.

Voir, Belief in Witchcraft Costing Lives of Elderly Women in Malawi

Photo. © Charles Mpaka / IPS

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Les commentaires de nos lecteurs (3)

Bernard Farine 30.04.2023 C'est vrai que la réalité est terrible. Par contre, je trouve le droit du Malawi bien élaboré et les réflexions judicieuses.
Paul Attard 30.04.2023 I guess witchcraft is still a problem in Africa, generally. In Europe too! People read their horoscopes, believe in the stars & other rubbish. Nothing new!
Margaret Henderson 05.06.2023 This item made most impact on me: the poor women being accused of witchcraft. This is partly because I am a woman in that age group, partly because I was very aware of belief in witchcraft when I was in Burundi but also because Scotland has a shocking history of accusing women of witchcraft. This was in the 16th, 17th and even 18th centuries. I belief what brought it to an end finally was a higher standard of education throughout the country. But Africa cannot wait a few centuries, with such a rate of torture and death. How very sad.