En effet, il n'y avait qu'une seule chose à craindre : le feu. Non pas le feu sûr et chaud que l'homme gardait dans sa grotte et auprès duquel les animaux aimaient s’étendre, s’enveloppant de sa chaleur pendant les froides nuits d'hiver, mais le feu cruel et dévorant qui se produisait parfois quand la savane était sèche et brune ; le feu qui surgissait de nulle part, rugissant et crépitant à travers le sol, détruisant tout sur son passage. Lorsque cela arrivait, tout ce que les créatures pouvaient faire était de courir, courir sans jamais s'arrêter jusqu'à ce qu'elles aient mis une large rivière entre elles et les flammes.

En fin d'un après-midi, alors que la plupart des animaux somnolaient, le rhinocéros, qui avait un odorat très fin, releva la tête, se demandant ce qui l'avait réveillé. Se levant d'un bond, il resta la tête en l'air, reniflant d'abord dans une direction puis dans l'autre.

Il se dirigea tout de suite vers la girafe endormie et lui donna un coup de son nez cornu. « Girafe - dit-il -, je sens de la fumée. Tu es plus grande que les autres. Regarde autour de toi pour voir d'où elle vient ».

La girafe écarta ses longues pattes et, à la troisième tentative, se leva, s'étira de toute sa hauteur et se dressa même sur la pointe des pieds, mais n’arriva pas à voir au-dessus des arbres qui les entouraient. « Je suis désolée, Rhino - dit-elle -, je ne peux rien voir, mais je suis sûre que tu as raison, je peux sentir la fumée moi aussi ».

Le rhinocéros renifla et trotta jusqu'à l'endroit où les babouins dormaient, tous allongés en un gros tas. « Hé, réveillez-vous - cria-t-il -, réveillez-vous ! ». Les babouins, agacés d'être dérangés dans leur repos, se démêlèrent les uns des autres et se levèrent en grognant de colère.

« Silence - cria le rhinocéros -, et quand le silence se fit, il dit - La girafe et moi sentons de la fumée. L'un d'entre vous doit grimper sur l'arbre le plus haut qu'il puisse trouver et essayer de localiser le feu ».

Au mot ‘feu’, la panique s'empara de ces bruyantes créatures, mais l'un des jeunes mâles, qui avait plus de présence d'esprit que les autres, se hissa sur un arbre proche et, une main sur le front, protégeant ses yeux du soleil, scruta les alentours. Il regarda vers le sud, vers l'ouest, vers le nord et encore vers le nord, les yeux fixés sur le paysage de toute sa concentration.

« C'est du feu - s'écria-t-il ensuite -, le plus grand que j'aie jamais vu ». Rapidement, il descendit de l'arbre. « Nous devons avertir toutes les autres créatures ».

Bondissant et sautillant sur le sol, il courut jusqu'à l'endroit où il avait vu que dormait l'éléphant. Tirant sur la trompe de l'énorme animal, chose qu'il n'aurait jamais osé faire s'il ne s'agissait pas d'une urgence, il le réveilla. « Eléphant - s'écria-t-il alors que le grand animal ouvrait les yeux -, éléphant, il y a un grand feu qui vient du nord. Il faut avertir les animaux de courir vers la rivière aussi vite que possible ».

L'éléphant, immédiatement éveillé, comme il dormait toujours debout, n'eut qu'à lever sa trompe pour pousser un cri qui s'entendit au loin, dans toutes les directions. Il continua longtemps avec son barrissement et, au fur et à mesure que tous les animaux se rassemblaient pour savoir ce qui se passait, le babouin leur parla de l'incendie.

En un rien de temps, toute la région essaimait d'animaux qui se dirigeaient vers la rivière en se heurtant et en s'entrecroisant. Les plus grands et les plus rapides portaient sur leur dos les plus petits et les plus lents. Heureusement, la rivière était peu profonde et coulait lentement. Il leur fut donc facile de la traverser. Bird, l’oiseau secrétaire se tenait sur l’autre rive, cochant de sa liste chaque animal qui traversait la rivière pour se mettre à l'abri.

Une épaisse fumée noire traversait la rivière en un nuage sombre et étouffant, mais tous les animaux se retrouvaient sains et saufs, à l'exception du petit Dassie (le daman des rochers). Le secrétaire Bird passa l'information aux autres.

« Oh là-là - toussa le lion -, les yeux brillants à cause de la fumée, où peut bien être Dassie ? S'il ne se dépêche pas, il ne pourra jamais s'échapper. Regardez, les flammes ont atteint la lisière de la forêt et arriveront bientôt à la rivière ».

D'un bond, le cerf-volant à l'œil vif décolla du sol, s’éleva, puis plana en scrutant au-dessus du feu qui s'approchait. Soudain, il descendit en piqué, ensuite s'éleva à nouveau et après avoir fait deux fois la roue dans les airs revint vers les autres.

« J'ai vu Dassie - s'écria-t-il -. Il est assis sur un gros rocher à l'orée de la forêt et semble trop terrifié pour bouger. En ce moment, les flammes lèchent déjà le pied du rocher. Il faut que quelqu'un aille le sauver ».

Les animaux, envahis de se regardèrent l’un l’autre. Ils étaient trop effrayés pour risquer de se faire engloutir par le feu en tentant de sauver le petit animal du rocher. « Vite - cria le cerf-volant -, sinon il sera trop tard ».

Soudain, il y eut comme un éclair de fourrure fauve et le guépard, dont le pelage était alors d'une seule couleur, quitta le groupe de ces animaux effrayés, sans un mot, plongea dans la rivière, et bondissant dans l'eau atteignit l'autre rive. Il courut tout droit vers le feu, disparaissant parfois dans les tourbillons de fumée, jusqu'à ce qu'il atteignît le rocher où le cerf-volant avait vu Dassie.

Les étincelles, en devançant les flammes, étaient déjà sur place et de petits feux crépitaient partout. Là, au sommet du rocher, les larmes aux yeux, se tenait le pauvre petit animal terrifié. « Vite - cria le courageux guépard-. Saute sur mon dos. Vite, il n'y a pas de temps à perdre ».

Regardant à travers la fumée, Dassie vit le guépard et, d'un bond puissant, atterrit sur son dos et s'accrocha fermement à lui. À travers les étincelles, les flammes et la fumée, le guépard courut comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Juste avant qu'il n'atteigne la rivière, le feu se déchaîna avec un rugissement et les animaux qui observaient eurent l'impression qu'il allait engloutir les fugitifs. Mais, d’une fantastique accélération, le guépard atteignit la rivière, une fraction de seconde avant le feu.

Déposant le petit Dassie aux pieds des autres, le guépard se redressa devant eux, les poumons gonflés par son noble effort. « Bravo, bravo ! - s'écriaient les animaux-. Ce que tu as couru vite ! Aucun autre animal n'aurait pu courir aussi vite. Mais regarde ton beau pelage fauve. Oh là-là ! Les étincelles l'ont brûlé à des centaines d'endroits ».

C'était tout à fait vrai. Il y avait tellement de marques de brûlures que son pelage avait l'air tout à fait différent. Guépard en fut d'abord assez contrarié, mais dans les jours qui suivirent, lorsqu'il remarquait les animaux se signaler les uns aux autres les brûlures, il devint fier de posséder un pelage avec des marques aussi distinctives.

Les marques de brûlure sont toujours là aujourd'hui et tous ceux qui ont vu guépard courir conviendront que lui seul aurait pu sauver Dassie en ce jour fatidique. Ce que les autres animaux n'avaient pas remarqué, c'est que Dassie avait aussi souffert de la brûlure d’une grosse étincelle ! Bien sûr, ils étaient trop occupés à féliciter le guépard, mais si jamais vous avez la chance de voir le timide daman des rochers, vous remarquerez, en plein milieu de son dos, une marque noire causée par l'étincelle se détachant de sa fourrure brune. (Conte du peuple Lango - Ouganda)

See, Cheetah and the Rock Dassie

Photo: Pixabay)