Justice, Paix, Intégrité<br /> de la Création
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Sommes-nous vraiment esclaves de la haine ?

La Stampa 15.09.2025 Vito Mancuso Traduit par: Jpic-jp.org

Haine : tel semble bien être aujourd’hui l’état du cœur et de l’esprit de la politique mondiale et nationale. Et puisque la politique, pour le meilleur et pour le pire, est le miroir de la société, la conclusion amère à tirer est que nous sommes condamnés à nous enfoncer toujours plus dans une mer de haine, de ressentiment, d’agressivité et de violence.

 

Le ressentiment se répand partout, mais il n’est pas une condition naturelle. Il s’agit plutôt d’une maladie dont on peut et dont on doit guérir grâce à l’ouverture de l’esprit et du cœur.
La haine, en effet, engendre malheureusement la haine. Le meurtre du jeune homme politique américain Charlie Kirk par le très jeune étudiant Tyler Robinson semble confirmer ce que dit la Bible : « Ils ont semé le vent, ils récolteront la tempête » (Osée 8,7). Mais il arrive aussi que l’on n’ait pas semé le vent et que l’on récolte pourtant la tempête : Gandhi, les deux Kennedy, Martin Luther King, Aldo Moro en sont quelques exemples tragiques.
La haine apparaît donc comme une passion destructrice qui traverse l’histoire depuis toujours : Caïn tue Abel, Romulus tue Remus, Socrate est mis à mort par les démocrates, Jésus par les théocrates ; guerres sans fin, pulsions de vengeance ancestrales ; et le XXe siècle, qualifié de « siècle des génocides », se répète aujourd’hui dans un miroir sanglant…

Mais quel rôle la haine joue-t-elle dans la structure du monde ? Est-elle structurelle, naturelle ? Ou, au contraire, survenue, artificielle ? Quel est le rapport entre la haine et la logique de la vie dans le monde ?
Ma réponse va sans doute à contre-courant, car je crois que la haine n’est pas naturelle : c’est une pathologie, et sa disparition serait un retour à la santé, une guérison.

De quoi la haine est-elle la pathologie ? De cette condition structurelle qu’Héraclite appelait polemos, lorsqu’il écrivait : « Le conflit (polemos) est père de toutes choses et roi de toutes ». Mais à cette affirmation célèbre, il ajoutait une autre considération complémentaire : celle de l’harmonie, encore plus fondamentale selon lui : « De tout ce qui diverge naît une harmonie plus belle ». Héraclite (avec Empédocle) fut le premier en Occident à souligner que le conflit est constitutif de l’être ; mais loin de conduire au néant, il engendre l’harmonie, la vie, l’intelligence, la culture.

Pourquoi alors la haine domine-t-elle à ce point la vie politique et sociale de notre époque ?
Ma réponse est la suivante : parce que la plupart d’entre nous sont spirituellement malades, et nos sociétés le sont aussi, car elles ont perdu tout repère éthique et moral capable de guider et d’orienter les individus.

Héraclite avait vu juste, et la science d’aujourd’hui le confirme : le conflit existe déjà dans la matière ; les astrophysiciens parlent de galaxies « cannibales » et de trous noirs voraces. En biologie, le tableau devient plus troublant encore : le sang entre en scène, élément de vie et en même temps de mort.
Mais attention : ni dans les étoiles, ni dans les trous noirs, ni chez les animaux qui se nourrissent d’autres vies pour survivre, il n’y a de haine. Le lion ne hait pas la gazelle, la gazelle ne hait pas l’herbe. Dans la nature, il n’y a pas de haine : c’est une maladie de l’esprit évolué, plus précisément de l’esprit humain, incapable de maîtriser le conflit inhérent à l’existence et qui en devient victime.

L’esprit qui domine le conflit lutte contre son adversaire sans le haïr ; celui qui est dominé par le conflit, lui, le hait.
Dans le premier cas, on cherche à vaincre l’adversaire, non à l’anéantir, car on perçoit qu’il fait, en réalité, partie de nous : la gauche n’existerait pas sans la droite, les athées sans les croyants, la Juventus sans l’Inter.
La haine, elle, veut détruire. Et dans sa fureur aveugle, elle ne comprend pas que l’anéantissement de l’ennemi entraînerait aussi la disparition de soi, puisque sans ennemi, l’identité n’aurait plus son contraire pour se définir.

La haine est une maladie, une pathologie de l’esprit. Ce n’est pas un hasard si le judaïsme, le christianisme et l’islam affirment que Satan (appelé Iblis dans le Coran) est un ange déchu, et qu’un ange est pur esprit. Quand la liberté tombe malade, elle met la conscience et la créativité non plus au service de la responsabilité, mais de sa négation : la destruction. C’est alors que naît la malignité, la volonté lucide de faire le mal. Cette volonté maligne peut viser une personne, un groupe, un peuple, une institution, ou même le monde entier, par pur plaisir pervers de détruire et de faire souffrir.

On ne pense pas ordinairement que la haine soit une maladie ; on la présente souvent comme la force contraire et égale à l’amour. Certains vont même jusqu’à croire que la haine permet de comprendre mieux que l’amour, grâce à une prétendue lucidité. Je ne sous-estime pas la force de la haine, mais je conteste qu’elle soit intelligente.
En réalité, la haine ne voit que soi-même. Même lorsqu’elle regarde l’autre, elle ne voit que son propre préjugé, incapable de reconnaître le bien de l’autre. Elle regarde, mais avec un œil déformé par l’énergie négative du désir de destruction.

La vraie compréhension exige la droiture du regard, la recte visio — ce que le Bouddha appelait « la juste vision ». C’est d’elle que naît l’ouverture de l’esprit et du cœur, c’est-à-dire l’empathie. La haine n’est donc pas intelligente ; elle est stupidement enfermée sur elle-même.

Reste une dernière question : la haine est-elle forte ? Oui, elle l’est parfois terriblement. Mais le cancer aussi est fort : les cellules cancéreuses sont avides, agressives, violentes, et pourtant, elles entraînent la mort de l’organisme, donc aussi la leur.
Car l’être est régi par une logique d’harmonie : ce qui s’y conforme fait fleurir la vie ; ce qui s’y oppose la fait dépérir. Rejeter la haine n’est donc pas seulement une question de bonté ; c’est une question d’intelligence : comprendre la logique qui nous a engendrés et s’y conformer, comme un capitaine qui ajuste ses voiles au vent. Éliminer la haine en soi, tout en maintenant le conflit sans volonté d’anéantissement, c’est rester en bonne santé pour soi-même d’abord, avant même que pour l’autre.

Se libérer de la haine, conserver le conflit mais abolir la volonté de destruction : voilà ce dont nos esprits et nos sociétés ont besoin pour retrouver une politique au service du bien commun. Et de combien notre monde a besoin d’une telle renaissance, il n’est même pas besoin de le dire.

Voir, Vito Mancuso: L’odio dilaga ovunque

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