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Une aide aux paradis fiscaux. La Banque mondiale se blâme elle-même

Nigrizia 07.01.2021 Armand Djoualeu Traduit par: Jpic-jp.org

Une partie de l'argent versé par la Banque mondiale à 22 pays pauvres (18 africains) s'est retrouvée aux îles Caïmans, en Suisse, au Luxembourg et à Singapour. C'est ce qu'affirme une étude publiée par la même institution financière internationale. Une collusion est supposée entre les dirigeants de banque et les dirigeants africains

Une étude de la Banque mondiale (BM), publiée en février 2020 et restée « en sous des radars » ces derniers mois, a révélé des vols massifs d'argent à destination des pays pauvres par la même BM. Il s'appelle Des aides financières accaparées par les élites (Elite Capture of Foreign Aid : Evidence from Offshore Bank Accounts) et c’est un document de 45 pages qui montre qu'entre 1990 et 2010, environ 7,5% de l'aide financière apportée par la BM à 22 pays en développement ont pris le chemin des paradis fiscaux. Le rapport a fait beaucoup de bruit car il s'agit d'une émanation des systèmes de la même BM. Et parce qu'elle atteste que les versements de la BM à ces 22 pays (dont 18 africains), qui sont les plus dépendants de l'aide de l'institution financière, « coïncident avec des augmentations importantes des dépôts dans les paradis fiscaux ».

Pas étonnant que la publication du rapport ait été troublée, étant donné que l'institution est accusée d'alimenter cette tendance. L'hebdomadaire britannique The Economist a fait des révélations le 13 février 2020, selon lesquelles les dirigeants de la BM ont désapprouvé les conclusions de l'étude et ont donc retardé sa publication. Ce n’est pas seulement d'aujourd'hui que les économistes africains dénoncent les carences de la Banque mondiale dans le financement et le contrôle des projets. Et ils mettent en évidence la collusion entre certains sujets de l'institution et certains dirigeants africains (et/ou politiques) peu recommandables. Et c'est bien ainsi, comme le souligne l'étude, qu'une partie des centaines de millions de dollars qui sont versés à l'Afrique dans le cadre de l'aide au développement finissent dans des paradis fiscaux et montrent comment de gains illégaux sont discrètement sécurisés.

L'argent en fuite

Et voyons de  quels pays africains on parle : Burkina Faso, Burundi, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Guinée-Bissau, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Rwanda, São Tomé et Príncipe, Sierra Leone, Tanzanie, Ouganda et Zambie. Il est clair que le rapport remet directement en cause l'efficacité de l'action de la BM. Car les paiements qui devraient concourir au  développement vont en partie alimenter la corruption dans les pays pauvres.

Dans l'étude on lit des choses comme : « Ces paiements coïncident avec une augmentation significative des transferts vers les centres financiers offshore connus pour leur opacité fiscale ».

Il s'agit notamment de la Suisse, du Luxembourg, des îles Caïmans et de Singapour. Le rapport analyse une période de vingt ans (1990-2010) et précise que le « taux de vol » moyen est estimé à environ 7,5%. Pour certains des pays bénéficiaires de l'aide, on atteint 15 %, alors que l'aide représente au moins 3% du produit intérieur brut (PIB). Il s'agit du Burundi, de la Guinée-Bissau, de l'Érythrée, du Malawi, du Mozambique, de la Sierra Leone et de l'Ouganda. En revanche, lorsque l'aide équivaut à 1% du PIB, les dépôts dans les paradis fiscaux augmentent de 3,4%. Dans la même période, il a été constaté que les dépôts sont nuls ou quasi nuls dans les pays qui ne sont pas des paradis fiscaux.

Quelques autres données. Il existe des pays pour lesquels les dépôts dans les paradis fiscaux représentent des sommes importantes. Par exemple : Madagascar, 193 millions de dollars ; Rwanda, 149 ; Tanzanie, 145 ; Zambie, 117 ; Burundi, 103.

Partie émergente de l’iceberg ?

Il est à noter que l'étude ne met pas l'accent sur les responsabilités des dirigeants ou des mécanismes de travail de la Banque mondiale dans cette affaire que l'on peut définir comme un clientélisme institutionnalisé. Selon Pape Demba Thiam, économiste sénégalo-suisse qui a travaillé pour la Banque mondiale pendant 14 ans, « cela signifie que l'étude se concentre en fait uniquement sur la partie émergente de l'iceberg, et ce n'est pas un hasard si l'institution internationale a essayé de le censurer. Cela laisse entendre qu’il y a plus que la corruption des dirigeants africains ».

Selon Yves Ekoué Amaïzo, économiste et homme politique togolais, directeur du Think Tank Afrocentricité, la BM a construit un système de corruption et d'irresponsabilité des élites des pays pauvres, et cela en toute impunité. En tout cas, le rapport montre les insuffisances dans la gestion de l'aide accordée aux pays les plus fragiles qui n'en font pas pleinement usage, au détriment des couches les plus faibles de la population. Ce que note le rapport nécessiterait une réponse aux plus hauts niveaux de l'institution internationale, précisément parce que sa mission et son rôle sont remis en cause. Pendant ce temps, les conséquences de cette évasion fiscale ont de lourdes répercussions sur les économies individuelles des pays africains.

Même si le rapport ne quantifie pas les dommages que les pays subissent du fait de l'aide détournée vers les paradis fiscaux, il faut rappeler que, selon les études de l'ONU, si l'Afrique parvenait à réduire les flux financiers illicites, elle pourrait avoir accès à 89 milliards de dollars par an. Un chiffre qui est obtenu à calculant la fuite des capitaux, les pratiques fiscales et commerciales illégales (comme la fausse facturation des échanges commerciaux), les activités criminelles que gèrent les marchés illégaux et la corruption.

Le 28 septembre 2020, Mukhisa Kituyi, secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a déclaré : « Les flux financiers illicites privent l'Afrique et ses habitants de perspectives d'avenir, sapent la transparence et la responsabilité, et sapent la confiance dans les institutions du continent ». De 2000 à 2015, la fuite des capitaux en provenance d'Afrique a atteint un total de 836 milliards de dollars. Si on la compare à la dette extérieure totale de l'Afrique, qui en 2018 était de 776 milliards, on se rend compte que l'Afrique est un créancier net du reste du monde.

Une évasion fiscale de 25 milliards

L'évasion fiscale coûte à l'Afrique plus de 25 milliards de dollars par an. C'est ce qui ressort d'une étude menée par un réseau d'organisations non gouvernementales, dont la Global Alliance for Tax Justice. A l'heure de la lutte contre la pandémie de Covid-19, cette évasion est à considérer comme inacceptable. Car elle réduit les revenus que les pays africains pourraient consacrer à la santé. Vingt-trois milliards de dollars, c'est le montant estimé que les multinationales, locales ou étrangères, opérant en Afrique ont retiré des pays dans lesquels elles travaillent. A cette somme il faut ajouter un peu plus de deux milliards que de riches Africains ont transférés dans des paradis fiscaux. Le pays le plus touché par ce phénomène est le Nigeria, suivi de l'Afrique du Sud, de l'Egypte et de l'Angola. Mais même un pays comme l’Ile Maurice, considéré par certains comme un paradis fiscal, est victime du phénomène avec une perte estimée à 60 millions de dollars. Comme l'a révélé un récent rapport de l'OCDE, cette évasion n'est pas toujours illégale puisque de nombreuses multinationales, notamment dans le secteur minier, négocient des conditions fiscales avantageuses avec les États en échange de leurs investissements. Mais légale ou non, cette fuite des capitaux pèse sur les pays. La Global Alliance for Tax Justice estime que l'évasion fiscale en Afrique représente, en moyenne, la moitié des budgets de santé des États. Si cet argent restait sur le continent, dix millions d'infirmières supplémentaires pourraient être embauchées par an.

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