On m’a demandé de vous parler de la Palestine et d’Israël parce que, en tant que Juif, je fais partie de cet imbroglio cruel, anti historique et illégal. Que peut donc dire un Juif italien aux étudiants à propos des événements de Palestine et d’Israël ?
Je voudrais faire une prémisse à propos de ce qu’affirme Vito Mancuso dans son article publié dans La Stampa le 13.07.2025, intitulé Les deux visages du fanatisme religieux.
Selon moi, Ben Gvir exprime avant tout une stratégie militaire : la destruction totale de l’ennemi afin d’obtenir un nettoyage ethnique, comme le théorisaient les nazifascistes. Les Juifs n’ont eu ni État ni stratégie militaire pendant 2 000 ans. Le sionisme est une idéologie apparue il y a environ 120 ans, en contradiction avec le judaïsme pré-sioniste. Il naît avec le nationalisme européen et sous la menace des pogroms russes et polonais. C’est une idéologie coloniale de peuplement (comme ce fut le cas en Algérie, au Kenya, en Amérique du Nord, en Australie).
Les sionistes ont colonisé la Palestine grâce à la Grande-Bretagne. Les premiers sionistes savaient très bien que les Palestiniens existaient et qu’il fallait composer avec cette population, mais ceux qui en étaient conscients constituaient une infime minorité. Aujourd’hui, les sionistes sont « devenus fous », ils sont hystériques parce qu’ils ont peur, mais ils possèdent quelque chose qu’ils n’ont pas eu durant les deux mille dernières années : un pays. Ils doivent légitimer leur colonisation et la création d’un État-refuge pour les Juifs, et ils le font à travers la Bible. Moi, je n’ai pas besoin de cet État-refuge : je suis italien et européen, c’est mon pays qui me protège.
D’où viennent les idées de Ben Gvir ? D’une lecture littérale, non interprétée, de la Bible, malgré 2 000 ans d’interprétations rabbiniques. Les nazi-sionistes sont une minorité. Ils naissent d’un mécanisme typiquement juif : la peur des persécutions, tant au niveau individuel que collectif. La Shoah, l’Holocauste, est un drame jamais digéré. Je l’aborde en termes historiques et politiques, avec en main la Constitution italienne et la Constitution européenne. Je « fais de la politique » parce que je vais dans les écoles et les cercles pour parler de ces problèmes, mais dans une logique anticoloniale, en défense des Palestiniens. Les sionistes sont très certainement en train de commettre un génocide.
Les nazi-islamistes lisent le Coran de manière littérale, sans recourir aux 1 300 ans d’interprétations élaborées par les oulémas. Ils constituent une minorité et se sentent persécutés. Mancuso s’indigne que des « religieux » commettent un génocide. Il oublie que les États catholiques ont commis de nombreux génocides : en Italie, en Europe, dans les colonies. Les protestants ont fait de même. J’imagine, même si je n’en ai pas la preuve, que les chrétiens utilisaient des passages bibliques pour justifier leurs guerres. Mais cela n’excuse en rien les sionistes, pas plus que cela n’excuse les islamistes.
Mancuso parle d’« israélisme » : un terme erroné. Ce n’est pas le sionisme et on n’en trouve aucune trace en Israël ; c’est l’ancien stragisme (du mot italien strage – massacre - une lecture de l’hébraïsme ancien qui s’appuie sur les textes bibliques de la violence sacralisée) juif. Il faut ensuite s’entendre sur ce que nous entendons par « Livre révélé par Dieu ». Il a fallu 600 ans pour écrire la Bible, et les rédacteurs de Babylone faisaient la guerre à ceux de Jérusalem. Avec l’État des Juifs en Palestine il y a 3 000–2 000 ans, il y avait déjà un problème de force et de pouvoir, repris par la Bible. Affirmer que le judaïsme aurait été à la fois une religion et une nation fait partie de l’arsenal sioniste (comme l’a montré Shlomo Sand), mais cela ne me semble absolument pas exact : il est religion et nation seulement aujourd’hui. La recherche archéologique nous montre que la Bible n’est pas un livre d’histoire, comme le voudrait Ben Gvir pour légitimer les conquêtes du sionisme. Les « nazi-sionistes » coiffés de la kippa recherchent la « solution finale » pour les Palestiniens et Mancuso semble dire que les sionistes à la Ben Gvir ne sont pas différents des nazifascistes. Sur ce point, je suis d’accord. Mais revenons à notre « imbroglio ».
Imbroglio cruel
1 200 Juifs morts, environ 250 personnes enlevées (et en partie mortes), la peur – incompréhensible peut-être pour qui n’est pas juif – de retomber dans une nouvelle Shoah. Les médias parlent de dizaines de milliers d’habitants de Gaza tués par les Israéliens, mais en réalité nous ne savons pas combien ils sont, car ceux restés sous les décombres ne sont pas comptabilisés. S’y ajoutent 220 fonctionnaires de l’ONU, environ 150 journalistes, photojournalistes et opérateurs télévisuels. 100 000 blessés – sans jambes, sans bras, sans yeux. 70 % des morts sont des femmes et des enfants : Israël fait la guerre au Hamas, mais aussi aux Palestiniens non combattants, victimes d’« exécutions extrajudiciaires ». Israël estime avoir le droit de frapper quiconque, où que ce soit, ce qui est absolument illégal. À cela s’ajoutent les morts en Cisjordanie – un millier ? – avec des milliers de blessés et de personnes incarcérées. Il n’existe aucun rapport, aucune comparaison ni aucune proportionnalité entre les 1 200 morts israéliens et les dizaines de milliers de morts et de blessés palestiniens.
Je suis allé à Gaza en passant par l’Égypte. Une prison gigantesque : les habitants ne pouvaient ni entrer ni sortir ; les frontières terrestres, maritimes et aériennes étaient fermées. L’épisode du 7 octobre 2023 s’explique par l’incarcération de deux millions et demi de personnes et par plus d’un siècle de mauvais traitements et d’apartheid. De quel droit Israël a-t-il bloqué toutes les frontières de Gaza ? Il en a bloqué le développement politique, économique, social, culturel et religieux ; il en a bloqué les relations internationales.
Imbroglio anti historique
Les croisés se rendaient en Terre sainte en criant « Dieu le veut ! ». Aujourd’hui, les sionistes – Juifs en Israël et aussi en dehors d’Israël – affirment être en Palestine/Israël parce que « Dieu le veut ! ». Les Juifs sionistes auraient le droit, depuis cent ans, de recoloniser la Palestine parce qu’ils y vivaient il y a 2 000 ans et parce que leurs prières font toujours référence à Jérusalem comme centre spirituel. Alors les chrétiens catholiques auraient aussi le droit de recoloniser Rome et le Latium parce qu’il y a le Vatican, et les Romains de recoloniser la Grande-Bretagne et l’Écosse parce que l’empereur romain Hadrien avait construit son « mur » en Écosse. Certains pensent que les Palestiniens sont les anciens Juifs qui vivaient en Palestine il y a 2 000 ans et qui sont restés sur place après que les Romains ont détruit le Temple de Jérusalem et exilé les élites politiques et religieuses, mais non le peuple, les paysans et les bergers. Les Palestiniens répondent qu’ils ont été colonisés par l’Empire ottoman et qu’ils avaient le droit d’accéder à l’indépendance. Presque tous les peuples ont obtenu l’indépendance, sauf les Palestiniens.
Imbroglio illégal
Tous invoquent le droit international. Tous affirment qu’Israël a le droit de se défendre. Il me semble qu’Israël, depuis 1948, n’a jamais respecté le droit international, les déclarations de la Cour internationale de justice ou de la Cour pénale internationale, pas plus qu’il ne respecte les injonctions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’ONU. Israël ne respecte même pas les recommandations de ses États amis et alliés.
Et les droits des Palestiniens ? Le droit à un État ? Le droit à une vie digne ? Le Parlement israélien a approuvé une loi « fondamentale », une sorte de Constitution, affirmant que les citoyens d’Israël sont les Juifs du monde entier et que ceux qui ne sont pas juifs ne sont pas citoyens d’Israël : les Palestiniens, les chrétiens, les musulmans, les druzes qui vivent depuis toujours en Palestine-Israël ne sont donc pas citoyens à part entière, ou ne le sont pas du tout.
Les Palestiniens accusent l’État d’Israël d’être raciste, de pratiquer l’apartheid – la politique du développement séparé, selon laquelle les Palestiniens ne sont pas citoyens chez eux –, de bloquer leur droit au développement politique, économique et culturel et à avoir leur propre État. Ils l’accusent d’armer les colons qui, illégalement – même selon le droit israélien – occupent leurs terres et leurs maisons, leur retirant la possibilité de travailler et de cultiver. Ils l’accusent d’incarcérer sans procès.
Racisme et apartheid
Un grand allié d’Israël a été l’Afrique du Sud de l’apartheid : échanges d’armes (y compris de la bombe atomique) et de techniques de contrôle des Noirs et des Palestiniens. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud postapartheid accuse Israël de génocide. Mais les Palestiniens ne seraient-ils pas des « terroristes » ? Les médias, dans leur grande majorité, le pensent. Un « terroriste » est celui qui cherche à obtenir des résultats politiques en terrorisant la population civile. Qui terrorise qui ? Selon le droit « bourgeois » – droits et devoirs égaux pour tous, tous égaux devant la loi –, celui qui terrorise, c’est Israël, qui veut procéder à un nettoyage ethnique des Palestiniens, tandis que les Palestiniens, au nom du droit à la décolonisation, ont le droit de se défendre et de combattre Israël.
Enfin : la religion et la politique
Un grand rabbin d’une importante ville italienne utilisait la religion pour défendre la politique d’Israël (Netanyahou n’est pas le seul, ce qui arrangerait beaucoup). Mais quel est ce Dieu qui préfère un peuple à un autre ? Un dieu mythologique qui plaît à ceux qui veulent être bénis pour se sentir plus importants ? Ce n’est pas mon Dieu.
Selon ce rabbin, l’ONU devrait défendre Israël, bien qu’elle soit une organisation antisémite. Mais Israël reconnaît-il l’ONU ? Se comporte-t-il selon ses règles ? Accepte-t-il ses résolutions ? Non. L’opinion de 150 États membres de l’ONU ne compte pas pour Israël : ils sont tous antisémites. On peut alors se demander si ce rabbin défend le judaïsme, les Juifs ou un État. Que Dieu accepte et permette la politique d’Israël, son violent nettoyage ethnique – la Nakba – et son intention de commettre un génocide, me fait penser que Dieu a été remplacé par ce que les Italiens appellent Belzébuth. Impliquer le divin en politique permet, sans aucun doute, d’y faire entrer aussi Belzébuth.
Un journaliste d’un grand quotidien italien soutient que la stratégie « deux peuples, deux États » est une absurdité. Je l’ai pensé moi aussi, mais pour des raisons opposées : Juifs sionistes et Palestiniens, s’ils veulent vivre en Palestine-Israël, devraient avoir un seul État avec des citoyens jouissant de droits égaux. La géopolitique n’est pas immuable ! « Deux peuples, deux États » n’est pas possible aujourd’hui, mais le moment viendra où cela le sera, non pas parce que « Dieu le veut », mais parce que la majorité du monde le voudra. Reconnaître la puissance militaire d’Israël ne signifie pas qu’on ne puisse pas l’attaquer politiquement par d’autres moyens pour le contraindre à changer de cap.
Les Occidentaux doivent défendre et armer l’Ukraine pour qu’elle puisse vivre en paix et être respectée par la Russie. Pourquoi ne pas faire vivre en paix les Palestiniens, qui souffrent depuis cent ans et ne sont toujours pas décolonisés ? Pourquoi ne devraient-ils pas recevoir le respect d’Israël ? Poutine a tort : il a envahi et détruit l’Ukraine. Israël a-t-il le droit de procéder à un nettoyage ethnique en Palestine et de la détruire ? L’Ukraine a le droit de devenir membre de l’UE et de l’OTAN ; pourquoi les Palestiniens ne pourraient-ils pas aspirer aux mêmes droits ?
Pour parvenir à un certain équilibre géopolitique, il faut accomplir des pas décisifs :
Il faut être convaincu que toute politique visant à s’émanciper des États-Unis accélère la construction de l’Union européenne, quel que soit le président des États-Unis. Les gouvernements, arabes et européens, ne reconnaissent pas la volonté des jeunes générations : c’est pourtant de là que doit naître l’avenir. C’est pourquoi les jeunes doivent connaître et lire, par exemple, Shlomo Sand sur la culture sioniste et Ilan Pappé sur le nettoyage ethnique.
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