L'Allemagne indemnisera la Namibie pour les crimes commis entre 1904 et 1907.Il a fallu plus d'un siècle à l'Allemagne pour reconnaître qu'elle avait commis un génocide en Namibie en éliminant 80 % de la population Herero et 50 % des Namas. En évitant de parler de ‘réparation’ ou de ‘compensation’, Berlin a annoncé qu'elle verserait 1,1 milliard d'euros au cours des 30 prochaines années au gouvernement namibien.
Facebook a connuune vague de réactions, critiques, demandes, questions et lamentations. La reproduction de la première page de l'hebdomadaire The Patrioten juin dernier ne laissait aucun doute. Comme s'il s'agissait d'une liste de courses, il proposait un décompte officiel - établi quelques années après le début des négociations, en 2015 - du coût du génocide des Namas et des Hereros commis au début du XXe siècle : pour pertes en vies humaines (10792 millions d'euros), pour perte de moyens de subsistance (2124 millions), pour perte de terres (1618 millions), pour le travail forcé (14074 millions) et pour d'autres pertes (700 millions). Au total 29269 millions d'euros. «Que s'est-il passé en trois ans pour être passé de 29200 millions à seulement 1100 millions?», s'est interrogé l'homme d'affaires et militant Vetumbuavi Green Mungunda.
L'universitaire NgondiKamatuka répondait également à l'annonce de l'accord entre les gouvernements de Namibie et d'Allemagne en accrochant sur sa page socialela photographie en noir et blanc d'un groupe de survivants Hereros à leur retour du désert d'Omaheke, où ils avaient été abandonnés par les troupes allemandes. Sept hommes, certains avec un visage d'enfant, avec les côtes complètement marquées et la peau tendue sur les os, et deux femmes incapables de se tenir debout.
Tout avait commencé en 1884, lorsque les puissances européennes s’étaientpartagé le continent africain lors de la conférence de Berlin. L'Allemagne s'est retrouvée avec l'actuel Cameroun, le Togo, la Tanzanie et s’est annexé la côte sud-ouest africaine, ce qui est aujourd'hui la Namibie. Les conditions auxquelles l'Allemagne soumettait la population jusqu'à la 1ère Guerre Mondiale ont fait que les Hereros, commandés par le chef Samuel Maharero se sont soulevésavec les Namas le 12 janvier 1904contre l'occupation avec leslogan « Let us die fighting» (Laissez-nous mourir au combat). La réponse des forces coloniales fut brutale selon les historiens de l'époque, tandis que plus tard ils qualifieront ce qui s'était passé de premier génocide du XXe siècle.
80% de la population Herero, 65000 personnes, et 50% des Namas, 10000 personnes, sont morts dans les affrontements qui ont duré de 1904 à 1907. Ceux qui avaient réussi à survivre furent transférés dans le désert d'Omaheke, où beaucoup sont morts de faim, de soif, d’épuisement ou par balles oucoups de canon quand ils étaient encore attaqués. Les femmes furent été systématiquement violées, et celles qui faisaient le chemin du retour étaient à nouveau interceptées et transférées dans des camps où elles étaient utilisées comme esclaves. L'un des camps de concentration les plus importants était situé dans ce qui est aujourd'hui Swakopmund, la principale station balnéaire du pays.
Il y eut des ordres d'extermination spécifiques pour les zones dans lesquelles les deux communautés étaient concentrées, ce qui, selon les récits historiques de l'époque, explique la destruction même de ce qui était essentiel pour la vie des Hereros et Namas. Cette violence, menée en réponse à la tentative de soulèvement, toucha également d'autres groupes, comme les Damaras, dont la population estimée avant la guerre était de 30000 personnes, et qui fut réduite à 18487. Selon un recensement officiel de 1911, après le génocide, 19423 Hereros et 14 236 Namas étaient restés en vie - ce chiffre est remis en cause par certains historiens, qui l'abaissent à 10000 - dans le territoire qui portait le nom d'Allemagne du Sud-Ouest africain.
Le chroniqueur KwameOpuku a analysé en détail les termes utilisés pour communiquer les termes de l'accord entre l'Allemagne et la Namibie. Il a vivement critiqué le fait que l'action allemande dans le pays puisse être justifiée simplement parce qu'il n'y avait pas, en ce temps,un cadre juridique où on définissait ce qui veut dire ‘exterminer un peuple’. «L'Allemagne semble quelque peu réticente à reconnaître pleinement les génocides de 1904-1907 en tant que tels selon le Droit International (…) car on dit, ‘Maintenant, nous appellerons officiellement ces événements de la période coloniale par ce qu'ils sont du point de vue d'aujourd'hui : un génocide’.Cela suggère donc que dans le passé, un tel meurtre délibéré d'un peuple, son extermination, d'une certaine manière, n'était pas contraire au Droit International. En fait, la Convention sur le génocide de 1945 n'a pas d'effet rétroactif. Cependant, si les génocides des Hereros et des Namas ne relevaient d'aucune disposition du Droit International, ils étaient contraires aux devoirs de l'Allemagne en tant que puissance colonisatrice».
Manque de transparence
Les premières allégationsde l'Allemagne, en indiquant que les actions de leurs ancêtres étaient «quelque chose de mal fait» - les historiens et les récits des proches des victimes montrent au contraire qu'on avaitcommis touteune « désintégration des institutions, de la vie politique, sociale, linguistique, de la dignité, de la santé et même de la vie de chaque individu » - montrent à quel point l'approche était en fait tordue.
En 2015, l'Allemagne a officiellement qualifié les événements de « génocide » mais a refusé de payer des réparations. C'est ainsi qu'a commencé une négociation ardue dans laquelle ont été exclus à la fois les dirigeants communautaires et les organisations qui défendent la mémoire des Hereros et des Namas ou leurs descendants.
Ils n'étaient pas à la table des négociations et ils ne savent pas comment l'argent des réparations sera distribué afin que, comme l'a annoncé l'Allemagne, l’argent soit investi dans les infrastructures, les soins médicaux et les programmes de formation qui profitent aux communautés touchées.
Les critiques au processus ont leurssources non seulement en Namibie, mais aussi dans des organisations non gouvernementales, telles que Berlin Postkolonial, quia également évoqué le « manque de transparence », n'ayant pas inclus les associations de victimes. « Sans les descendants des groupes les plus touchés à cette époque, sans eux, il n'y a pas de réconciliation. C'est impensable », ont-ils exprimé sur leurs réseaux sociaux.
Au contraire, Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères, a déclaré dans une déclaration publiée le 28 mai 2021 : « Je suis reconnaissant qu’on soit arrivéà un accord avec la Namibie sur la façon de gérer ce chapitre sombre de notre histoire commune. Après plus de cinq ans, RuprechtPolenz et son homologue namibien, Zed Ngavirue, ont conduit les négociations au nom des deux gouvernements et sous la direction des deux parlements. Des représentants des communautés Herero et Nama ont été impliqués dans les négociations du côté namibien ». C'est une autre perception erronée du point de vue de ceux qui remettent en question l'accord, parce que cela nepermetpas fermer une blessure historique aussi profonde.
Le gouvernement namibien a demandé que l'aide économique soit utilisée : pour « la réforme agraire - 25 millions d'hectares avaient été confisqués et c’étaient les terres les plus fertiles du pays, dont la plupart n'ont jamais été restituées à leurs propriétaires - ;pour la mise en place de la réforme, le développement de l'agriculture et du monde rural - on estime à80000 la perte d’animaux; les Namas ont perdu la plupart de leur bétail - ; pour les infrastructures d'approvisionnement en eau et la formation professionnelle dans des zones marginalisées où vivent actuellement quelque 100000 Hereros - la population totale de la Namibie est de 2,5 millions de personnes- ». En fait, si le génocide n'avait pas eu lieu, selon les calculs de l'exécutif namibien, il y aurait aujourd'hui au moins 954903 Namibiens de plus qui feraient partie du recensement, et les Hereros seraient la plus grande communauté du pays.
La question de la répartition des indemnités a également suscité des réactions virulentes sur les réseaux sociaux, car le gouvernement allemand a été accusé de contrôler également cet aspect, et de le faire de telle sorte que « les colons actuels » continuent d'augmenter leurs fortunes et leur bien-être en Namibie. Le débat sur la répartition et les bénéficiaires en Namibie va s'éterniser car le pays traverse une crise financière - il a l'un des niveaux d'inégalités les plus élevés au monde - ce qui laisse au gouvernement peu de marge de manœuvre. La Namibie a une grande étendue - sa superficie est égale à celle de l'Allemagne et de l'Italie réunies –mais elle est dépeuplée. À l'heure actuelle, 7% de sa population sont Hereros et 5% Namas.
Une insulte
Paramount VekuiiRukoro, le chef des Hereros, et Goab J. Isaac, qui est à la tête de la Namas Traditional Leaders Association, ont rejeté l'accord, en le qualifiant de « vente ». Peu de temps après sa publication, ils ont exprimé leur rejet car l'accepter serait « une trahison aux ancêtres ».
« Ce que l'Allemagne offre n'est pas suffisant. Ils n'ont pas le droit de s'asseoir et de parler de nous sans nous, et de conclure un marché d’enveloppes fermées qui ne dit rien. Un génocide qui permet à l'Allemagne, selon sa propre discrétion, d’en arriver à livrer de l'argent en échange de projets bilatéraux. Ce n'est pas ce que nous avons en tête. L'aide doit aller directement aux descendants des victimes du génocide, comme le stipule UahamiseKaapehi, le conseil municipal qui préside le Comité Herero-Nama à Swakopmund », a déclaré VekuiiRukoro, avocat et ancien parlementaire, peu avant sa mortduCovid-19, le 18 juin dernier. « Nous ne sommes pas si stupides que nous ne sachions pascontrôler notre propre argent. Nous voulons que l'Allemagne nous respecte. Nous exigeons des excuses des Allemands et que ce soient eux qui achètent des fermes pour les descendants des victimes», a-t-ilconclu.
Cette idée est appuyée par NandiuasoraMazeingo, directrice de l’OvahereroGenocideFoundation, qui a qualifié l'accord d'« insulte » car le gouvernement namibien s'est vu confier le rôle de «facilitateur » dans le processus et les communautés affectées en ont été complètement exclues. Il a rappelé que le montant proposé équivaut au budget annuel du ministère namibien de l'Éducation, et s'est demandé sans attendre de réponse : « C’est seulement ça ce qu'ils proposent après avoir tué 80 % de mon peuple et 50 % des Namas ? Ils ont pillé notre pays et leurs enfants sont toujours assis sur notre terre ».
Du gouvernement namibien, son porte-parole, Alfredo TjiurimoHengari a décrit la reconnaissance comme « un pas dans la bonne direction », car « bien qu'il n'y ait jamais moyen de conclure ou de terminer ce type de dossier, car personne ne peut clore un génocide, nous sommes heureux de ce que les Allemands le fassent proprement ».
De nouvelles relations ?
La Namibie, premier producteur de diamants marins et cinquième producteur mondial d'uranium, était passée des mains de l'Allemagne aux mains de l'Afrique du Sud parce ce pays-ci avait vaincu les troupes allemandes et pris le contrôle du territoire jusqu'à l’indépendance de la Namibie en 1990, conquise grâce à l'action déterminante des milices de l'Organisation des Peuples d'Afrique du Sud-Ouest (SWAPO).
Très peu d'analystes considèrent que le geste historique qui signifie la reconnaissance officielle du génocide perpétré contre les Hereros et les Namassignifie un rapprochement ou le début d'une relation saine entre les deux nations. La méfiance et surtout la gestion des conflits écartent toute trace de compréhension mutuelle.
Combien vaut la vie d'une personne ? Comment compenser la destruction d'une société ? Le génocide oublié des Hereros et des Namas a acquis, avec le geste du gouvernement allemand, une reconnaissance et une visibilité internationale, mais il est loin d'occuper sa juste place au sein de la société namibienne. «Ce n'est pas assez», a été l'appréciation la plus répétée des militants, des politiciens et des descendants des deux communautés.
Aucun « accord de justice réparatrice avec la Namibie » n'a été négocié pour permettre d'avancer sur les piliers d'une solide relation de confiance. Les gestes et les images continuent de dominer la relation complexe entre l'ancien colonisateur et l’ancien colonisé. Ainsi, les 20 crânes qu'un hôpital de Berlin a rendus à la Namibie il y a dix ans, après avoir reconnu qu'ils avaient été envoyés en Europe pour y être étudiés afin de démontrer la supériorité des Blancs sur les Noirs, disent que les Namibiens n’ont pas encore obtenu d'être traités comme des personnes, victimes de persécutions et d’une violence extrême. Ce qui est également évident, c'est qu’une prétendue supériorité manifestée de factopar des faits, non seulement était de mise dans le passé, mais s’est à nouveauexprimée dans le présent par l'occasion perdued'une reconnaissance et d'un accord d’envergure qui aurait puatténuer les crimes commis.
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